Quel est l’intérêt du rôle travesti ?

On s’étonne souvent lorsqu’on entend qu’un rôle de jeune homme est interprété par, voire écrit pour, une femme. Pourtant, derrière le personnage plus connu du Chérubin de Mozart se cache toute une panoplie de rôles travestis, à la fois au théâtre et à l’opéra. L’opérette n’y échappe pas, et Offenbach en particulier n’a pas hésité à recourir souvent à ce type de rôles ambigus, qui trouvent dans les préoccupations actuelles sur le genre un intérêt nouveau.

Au-delà de l’alternative d’un homme joué par une femme ou d’une femme jouée par un homme, il faut distinguer des rôles travestis écrits par le dramaturge, le librettiste ou le compositeur, et ceux qui font le choix des metteurs en scène dans leur adaptation voire actualisation de l’œuvre. Et pourtant, si ceux-ci font ce choix, à l’instar de Robert Carsen à Bastille à l’automne 2022 confiant Roméo à Anna Goryachova, c’est souvent en s’appuyant sur la volonté même du compositeur, voire du dramaturge initial : si le rôle de Juliette était joué par un jeune homme au moment de sa création par Shakespeare du fait des contraintes du théâtre élisabéthain, Bellini a bel et bien composé le rôle de Roméo pour une cantatrice soprano.

À y regarder de plus près, le brouillage des genres, en particulier chez Offenbach, suit un gradient de confusion plus ou moins prononcée pour le spectateur. Un ressort comique classique consiste à faire se déguiser des personnages à l’identité sexuelle bien définie dans un sexe opposé, de façon pleinement transparente pour le spectateur. Par exemple, dans l’opérette d’Offenbach Jeanne qui pleure et Jean qui rit, une Jeanne se fait passer pour son frère Jean, tandis qu’un autre personnage, Cabochon, se déguise en femme au cours de l’opérette. Ce travestissement explicite s’oppose à celui de comédiennes en jeunes hommes, sans que la pièce n’entretienne d’ambiguïté sur leur identité sexuelle : le jeune amant, quoique joué par une femme, est un jeune homme, et le public fait comme si cela ne posait pas de problème. Entre les deux, un cas plus rare mérite d’être souligné : dans L’Île de Tulipatan (1868), Offenbach construit une intrigue sur une confusion des genres ignorée des personnages eux-mêmes : une jeune femme bonhomme tombe amoureuse d’un jeune homme délicat et se désespère qu’il n’ose lui déclarer sa flamme en retour, avant qu’il ne soit révélé aux deux jeunes gens que leur véritable identité sexuelle leur a été cachée à la naissance, que le jeune homme est une femme et la femme un homme !

Toute la question qui se pose alors, face à cet imbroglio jouant sur les codes de la féminité et de la virilité, est de savoir pourquoi nos compositeurs et librettistes ont écrit et pensé ces rôles. Comment interpréter ces travestissements et ainsi comment les jouer sur scène ?

Je propose de distinguer quatre pistes d’interprétation : psychologique, morale, scénique et musicale.

Un intérêt psychologique : figurer l’innocence, voire l’impuissance ?

Dans la préface du Mariage de Figaro (1778), Beaumarchais écrit du rôle de Chérubin, le jeune page du comte Almaviva, qu’il « ne peut être joué que par une jeune et très jolie femme ; nous n’avions point à nos théâtres de très jeune homme assez formé pour en bien sentir les finesses […] c’est un enfant, rien de plus ». C’est donc dans la continuité de Beaumarchais que Mozart compose en 1786 le rôle de Chérubin pour une mezzo-soprano. Son air célèbre « Voi che sapete » exprime bien l’innocence d’un tout jeune homme encore délicat, qui découvre les soubresauts de l’amour, et dont la virilité encore peu affirmée contraste avec les offensives séductrices du comte Almaviva. Chérubin incarne ainsi l’archétype d’un rôle travesti qui aurait pour fonction de mieux représenter des traits psychologiques d’ingénuité et de grâce associés à l’être féminin.

Si l’on s’intéresse maintenant au personnage de Siebel dans le Faust de Gounod (1859), l’ingénuité du jeune homme joué par une femme prend un tour plus tragique : on y retrouve la même opposition entre deux modèles de masculinité, celle conquérante d’un Faust qui fait l’assaut de la « demeure chaste et pure » de Marguerite, contre la présence discrète et fidèle de Siebel, écrit pour une mezzo-soprano. Le drame dans Faust tient sans doute à ce que Marguerite choisit celui qui lui ment et l’abandonne, plutôt que l’ami fidèle présent jusqu’à sa condamnation à mort. Le prélude de l’« Air des bijoux » met en exergue le triomphe tragique de Faust sur Siebel, dont Marguerite délaisse les fleurs avec un « Pauvre garçon ! » avant d’être séduite par le coffret de bijoux déposé par Faust et Méphistophélès.

Ces deux exemples nous montrent un premier visage du rôle travesti, au service de la caractérisation des personnages, permettant de mettre en scène une masculinité naissante, encore associée à travers la figure féminine à l’innocence de l’enfance, mais souvent mise en échec face à la virilité triomphante de l’homme mûr. Ce qui se cache ici, c’est bien une différenciation forte des caractères masculins et féminins derrière la figuration de différentes formes de virilité, puisqu’une virilité autre que « toxique » ne pourrait être jouée autrement que par une femme.

Un intérêt moral ambigu : décence ou voyeurisme ?

On trouve ensuite d’autres interprétations du rôle travesti, empruntant davantage au registre moral. L’article « Rôles travestis » du Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d‘Arthur Pougin (1885) explique ainsi que faire jouer à une femme un rôle d’amoureux passionné permet de « sauver ce que certaines situations pourraient présenter d’un peu excessif et d’un peu dangereux à la scène ». L’auteur interprète en ce sens le fait que le rôle d’Amour dans la tragédie-ballet Psyché (œuvre commune de Molière, Corneille, Lully et Charpentier, créée en 1671), d’abord confié au comédien Michel Baron, ait ensuite été confié à une femme. Reste à savoir si la représentation d’élans passionnés entre deux femmes sauve le caractère impudique de la scène, ou s’il répond plutôt à un fantasme masculin tirant sur le voyeurisme !

La suite de l’article va dans le sens de cette ambiguïté morale, puisqu’il est expliqué que les rôles travestis permettaient également de mettre en valeur certaines comédiennes qui se montraient très vives et originales dans des rôles masculins, comme Virginie Déjazet (1798-1875), qui a créé plus de cent rôles travestis au théâtre. Laurent Bury, dans un très bon article sur le rôle travesti chez Offenbach, montre par ailleurs que ces rôles travestis permettaient une audacieuse licence vestimentaire aux artistes qui les créaient, Léa Silly et Zulma Bouffar, qui, vêtues d’une tunique très courte pour l’époque, montraient ainsi leurs jambes en toute impunité à leurs admirateurs…

Le rôle travesti pourrait ici s’interpréter davantage à travers le prisme d’un certain plaisir licencieux à représenter l’amour entre deux femmes ou à exhiber le corps féminin, en particulier chez Offenbach, dans une période très marquée par la morale bourgeoise du Second Empire.

Un intérêt scénique : le travestissement comme ressort comique

Comme le montre Laurent Bury, on observe un traitement très inégal des deux types de rôles travestis : si les chanteuses jouent des rôles de jeunes hommes ingénus mais séduisants, les chanteurs incarnent plutôt des femmes laides, vieilles et sottes. Cette dichotomie est très présente chez Offenbach. Ainsi de son opérette Mesdames de la Halle (1858) : trois hommes jouent trois vieilles marchandes peu grâcieuses, suscitant l’intérêt uniquement pour l’argent qu’on leur suppose à tort, tandis qu’une femme joue le marmiton Croûte-au-Pot, amoureux de la jolie fruitière Ciboulette. On retrouve cette dichotomie dès les pièces baroques, comme le montre le très beau Couronnement de Poppée de Monteverdi, donné par l’ensemble Cappella Mediterranea à l’Opéra royal de Versailles en janvier 2023 : au rôle travesti de l’Amour, chanté par Julie Roset, s’oppose le rôle comique de la nourrice interprété par Stuart Jackson.

L’Île de Tulipatan, opéra-bouffe d’Offenbach en un acte (1868), vaut à ce titre le détour. L’interprétation de cette œuvre fait la part belle au ressort comique du travestissement. Hermosa est chantée par un ténor en perruque qui surjoue le côté gauche et lourdaud, tandis qu’Alexis est joué avec délicatesse et sensibilité par une soprano. Le duetto « Si, comme vous, j’étais un homme », extrêmement drôle, chante l’incompréhension d’Hermosa face à la timidité d’un Alexis qui n’ose déclarer sa flamme, jouant sur les codes de l’initiative masculine dans la déclaration d’amour:

On retient ici le ressort comique reposant sur le travestissement d’hommes en femmes. Arthur Pougin, dans le Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre (1885), écrit ainsi dès 1885 qu’« aujourd’hui, dans le répertoire moderne, on ne travestit plus guère un homme que lorsqu’on veut obtenir un effet grotesque et ridicule. Encore n’emploie-t-on ce moyen qu’avec la plus grande discrétion, le raffinement de notre goût le supportant malaisément. » Les mises en scène contemporaines démentent ce propos en prouvant le succès toujours actuel de ce ressort comique.

Un intérêt musical : un réservoir de créativité pour des duos féminins

La dernière interprétation semble avoir été la plus importante pour les compositeurs, et est d’ordre musical : l’usage de rôles travestis – en particulier de jeunes hommes chantés par des femmes – est un réservoir de créativité pour des duos de femmes entre deux sopranes ou une soprano et une mezzo-soprano. Les opérettes d’Offenbach regorgent ainsi de magnifiques duos amoureux de femmes : au-delà de la célèbre Barcarolle des Contes d’Hoffmann (1881), on peut penser au très beau duo de Fantasio (1872), ou au parodique Duo des pommes de Caprice et Fantasia dans le Voyage dans la Lune (1875).

Si certains rôles écrits comme rôles travestis sont parfois redonnés à des hommes, comme le rôle de Caprice dans Le Voyage dans la Lune (1875), certains chefs n’hésitent pas à donner des rôles de ténors à des sopranes, afin de créer de nouvelles harmonies musicales : on peut penser à la belle interprétation du duo d’ouverture « Tous les deux, amoureux » du Barbe-Bleue d’Offenbach (1866) par Renée Fleming et Susan Graham. Le travestissement du rôle de Caprice permet de redonner un nouveau souffle au duo, en permettant à Susan Graham de monter dans les aigus lorsqu’elle chante le printemps, passant même plus haut que la voix de soprano.

A l’opéra, le rôle travesti s’explique donc souvent par ce qu’il permet de créer musicalement, en termes de jeu avec la matière sonore de deux voix de femmes.

Et le rôle de Fragoletto dans Les Brigands ?

Ces différentes interprétations permettent de proposer plusieurs lectures du personnage de Fragoletto dans Les Brigands (1869).

Face aux autres brigands, le personnage de Fragoletto, présenté comme un honnête homme qui se travestit en coquin par amour pour Fiorella, incarne certes une certaine innocence et une fraîcheur. Les choix de mise en scène d’Emmanuel Ménard pour la production de l’œuvre par Oya Kephale en 2023 soulignent par exemple le décalage final entre la volonté sincère de Fiorella et de Fragoletto de quitter « le vol et le brigandage » et de « redevenir d’honnêtes gens », quand les autres brigands laissent transparaître leur intention de continuer leur vie d’avant. L’adjectif « honnête », qui revient dans les répliques de Fragoletto, l’associent à une figure fraîche et sincère qui pourrait entrer dans la tradition du jeune homme, associé par le choix d’une femme à une figure d’enfance ou de bonté fondamentale. Le dessin fait du personnage par l’illustrateur belge Draner (1833-1926) exprime bien la douceur candide que le travestissement permet d’associer au jeune homme.

Toute l’ambiguïté du personnage réside pourtant dans son espiègle audace, qui, si elle tient à des élans d’une fougueuse jeunesse, tirent définitivement Fragoletto hors d’une pure figure d’innocence enfantine. Le jeune homme qui chante vouloir « piller un brin » la fille du chef, ou l’emmener bien vite dans les bosquets manifeste ostensiblement sa figure d’amant passionné ! Sous cet aspect, on peut se demander si le choix d’une femme pour chanter Fragoletto ne permet pas aux créateurs de l’œuvre le mélange ambigu de décence et d’audace à faire exprimer par une femme des élans amoureux plus habituellement exprimés par les hommes dans la tradition scénique. Il n’est pas anodin de se rappeler d’ailleurs que le personnage de Fragoletto a été créé par Zulma Bouffar, qui a entretenu une longue liaison secrète avec Offenbach et lui a donné deux enfants. La séduction n’est pas absente du personnage de Fragoletto, espiègle jeune femme se permettant d’imiter l’audace masculine dans les élans amoureux…

Du ressort comique du travestissement, on aperçoit quelques traces dans le Trio des marmitons, coupé de la production Oya Kephale 2023, à travers un jeu sur les niveaux du travestissement. Pietro, Falsacappa et Fragoletto, déguisés en marmitons, se préparent à accueillir les voyageurs pour les enfermer dans une cave à vin et se substituer à eux. Falsacappa imite alors une voyageuse en contrefaisant une voix de fausset, tandis que Fragoletto lui répond dans les graves, en continuant à jouer son rôle masculin. Le refrain résolument pétillant de ce trio achève de donner à tout l’air une ambiance légère célébrant le déguisement et la farce. Le nom même de Fragoletto pourrait être une référence amusée à un personnage romanesque essentiellement ambigu : Fragoletta, personnage éponyme du roman Fragoletta, Naples et Paris en 1799 d’Henri de Latouche (1829), qui met en scène un hermaphrodite se présentant tantôt sous les traits d’une certaine Camille, tantôt sous ceux de son frère Adriani.

Enfin, l’intérêt musical du travestissement de Fragoletto est évident dans Les Brigands, comme en témoignent les nombreux duos avec Fiorella. Fragoletto donne souvent la réplique de Fiorella à la tierce, ou en reprenant la partie de soprano II, ce qui rassemble leurs voix dans une étonnante proximité de son, et ce qui peut figurer l’harmonie de ces deux personnages, exception d’honnêteté et d’espièglerie dans un univers globalement grotesque ! Dans le « Duetto du notaire », où les deux amoureux pressent un notaire imaginaire de les marier afin de pouvoir enfin batifoler en toute moralité, c’est même la voix de Fragoletto qui chante la partie de soprano I, passant au-dessus de la voix de Fiorella.

Le détour par les interprétations des rôles travestis à l’opéra permet donc de souligner toute l’épaisseur du personnage de Fragoletto, ambigu dans sa psychologie – entre une honnêteté sincère et une séduisante espièglerie, et dont le travestissement nourrit à la fois l’imbroglio des déguisements à répétition de l’intrigue et le génie musical des Brigands.

Extrait de la partition piano-chant du « Duetto du notaire », dans Les Brigands d’Offenbach. La partie de Fragoletto (Frag./Fr.), bien qu’en deuxième ligne, est plus haute que celle de Fiorella (Fior./Fi.), créant une inversion des rapports sonores permise par le travestissement du personnage.

Pour en savoir plus sur la musique des Brigands

Sources

 

Rédaction de l'article

Où se trouve l’auberge de Pipo ?

L’intrigue du deuxième acte des Brigands se situe dans une auberge dont le tenancier se félicite qu’elle soit si judicieusement placée à la frontière entre l’Italie et l’Espagne. Cette remarque fait immédiatement sursauter et sourire car, bien évidemment, les deux pays n’ont aucune frontière commune et sont très distinctement séparés par l’énorme hexagone français.

Pas de frontière italo-espagnole donc… en tout cas, pas de frontière terrestre puisque, techniquement, l’Espagne et l’Italie possèdent une frontière maritime située en pleine mer Méditerranée, sur laquelle il n’y a évidemment aucune auberge.

Mais on le sait, les frontières intra-européennes n’ont cessé de fluctuer au cours de l’histoire et les contours italiens, français et espagnols que connaissait Offenbach ne sont pas tout à fait ceux que nous connaissons actuellement. Tâchons donc d’y voir plus clair.

L’argument des Brigands est centré sur la préparation d’un mariage arrangé censé sceller l’alliance diplomatique entre le Royaume de Grenade et le Duché de Mantoue. Ces deux entités politiques ont bel et bien existé et, bien que 2000 km séparent Grenade et Mantoue, une telle alliance aurait été effectivement possible.

Le Royaume de Grenade intègre le territoire espagnol au moment de la Reconquista de 1492, perdant son statut de royaume indépendant pour devenir une division du Royaume de Castille, mais conservant tout de même son nom de Royaume. En 1833, un traité redéfinissant la division de l’Espagne marque la fin du Royaume de Grenade, lequel devient définitivement une simple province.

Le Duché de Mantoue, quant à lui, naît en 1530. Cette principauté reste indépendante jusqu’au début du XVIIIe siècle, bien que placée sous la tutelle du Saint-Empire romain germanique, avant d’être rattachée au Duché de Milan, suite à la déchéance de Charles III Ferdinand, dernier duc de Mantoue jusqu’en 1708. A l’époque napoléonienne, Mantoue va successivement être annexé par la République cisalpine, transformée plus tard en Royaume d’Italie gouverné par Napoléon, avant de passer sous la juridiction du Royaume de Lombardie-Vénétie, lui-même placé sous l’autorité de l’Empire autrichien.

Techniquement, le mariage entre la Princesse de Grenade et le Duc de Mantoue, bien que totalement fictif, ne serait pas complètement improbable. Mais jamais ces deux entités n’ont partagé la moindre frontière. L’Espagne et l’Italie ont cependant bien eu des frontières en commun, constamment redéfinies par les onze guerres successives d’Italie entre le XVe et le XVIe siècle. La bataille de Pavie de 1525 permet ainsi à l’Espagne d’asseoir sa domination sur la plupart des territoires italiens (à l’exception de Gênes, Venise, la Savoie le Piémont). Les reconquêtes s’enchaînent alors et les frontières varient fréquemment jusqu’en 1734, où la bataille de Bitonto fait rentrer Naples et la Sicile sous la couronne espagnole. Parme et Plaisance sont également cédés par l’Autriche au roi d’Espagne en 1748. Et tout cela se retrouve à nouveau bousculé un siècle plus tard par les conquêtes napoléoniennes.

Les brèves frontières qui ont existé entre les deux états ont donc été situées dans l’actuel territoire italien. Il est donc assez peu probable que l’ambassade de Grenade soit passée par là pour sceller ce mariage à 5 millions (ou 3 si on défalque la dot).

Alors Offenbach et ses librettistes s’attendaient-ils à ce que le public ait connaissance de quatre siècles de géopolitique complexe ? Assurément non ! Au contraire, il s’agit bel et bien d’une facétie des auteurs, mettant en scène un mariage tout à fait fantaisiste sur une frontière complètement improbable. Si le Duc vient de Mantoue, c’est en référence évidente au personnage volage et libidineux du Rigoletto de Verdi (1851) et le mariage entre l’Italie et l’Espagne est en réalité un prétexte pour faire ce dont Offenbach raffole : des clins d’œil parodiques au folklore musical supposé des pays européens voisins. Tout y passe : la saltarelle (italienne) de Fragoletto, les couplets de Fiorella sur un rythme de boléro (espagnol), l’arrivée de l’ambassade espagnole sur un fandango, jusqu’au couplets tyroliens du caissier du Duc… Dans la version des Brigands de 1878, remaniée en opéra-féérie, on trouve même un ballet espagnol, un ballet des italiennes et une malagueña reprise de Maître Péronilla. Mais il y a surtout ces hilarants couplets de Gloria-Cassis (« Y’a des gens qui se disent Espagnols »), pastiche en forme d’espagnolade où Offenbach, comme un an auparavant dans La PéricholeIl grandira car il est Espagnol »), étrille une certaine tendance de la cour du second Empire à s’inventer des ascendances ibériques afin de se faire bien voir de l’Impératrice Eugénie, elle-même espagnole et née à Grenade.

Pour en savoir plus sur la musique des Brigands.

 

Rédaction de l'article

Focus sur le Duetto du notaire

Après le grand Canon des faux mendiants, le Duetto du notaire de l’acte II fait partie des numéros les plus appréciés au moment de la création des Brigands. Les premières critiques parues après la première plébiscitent ce numéro réjouissant et il n’y a guère que Félix Clément et Pierre Larousse qui font la fine bouche et déplorent de n’entendre dans ce duo que « l’éternel rythme de polka » (Dictionnaire lyrique, ou Histoire des Opéras).

La structure de ce petit duo entre Fiorella et Fragoletto est relativement simple : un couplet, un refrain, chacun repris trois fois de manière identique. Harmoniquement, Offenbach s’en tient également à quelque chose d’assez rudimentaire et on cherchera en vain les franches modulations des premiers couplets de Fiorella, ou les chromatismes et les frottements harmoniques audacieux de ceux de Falsacappa. Mais, comme souvent chez Offenbach, l’apparente simplicité formelle masque mal un fourmillement de petits détails aussi subtils que ravissants.

Le début du couplet fait entendre un rythme assez caractéristique, formé de l’alternance entre deux brèves et une longue. Posé sur un bourdon des basses, ce rythme évoque donc la bourrée, danse issue du centre de la France, d’abord d’origine populaire – après tout, Fragoletto et Fiorella sont bien des gens du peuple – avant d’être progressivement développée et codifiée au XVIIe siècle jusqu’à intégrer les danses de cour et le grand ballet classique. Le refrain du duo évoque davantage la polka, danse dont la rythmique est assez proche de celle de la bourrée, mais qui possède un caractère plus sautillant et plus articulé.

Ce petit refrain n’est pas non plus sans évoquer le duo entre Eboli et Thibault, au premier acte de Don Carlos de Verdi, œuvre censément plus sérieuse, créée quelques années avant Les Brigands (en 1867 dans sa version française) et à laquelle Offenbach rend peut-être discrètement hommage ici. La parenté entre les deux duos est d’ailleurs accentuée par le fait que Thibault, comme Fragoletto, est un personnage travesti (rôle d’homme chanté par une femme).

Le travestissement de Fragoletto n’est d’ailleurs pas anodin dans ce duo et Offenbach, comme bien d’autres compositeurs, joue de cette ambiguïté des sexes, des genres et des rôles, et du côté délicieusement sulfureux qu’il génère. À ce titre, il est intéressant de noter que le compositeur, afin de brouiller encore davantage l’oreille, fait permuter à plusieurs reprises les lignes vocales de Fiorella et de Fragoletto et que le soprano 2 (Fragoletto) passe plusieurs fois furtivement au-dessus de la ligne du soprano 1 (Fiorella). Les voix se croisent et s’entrecroisent, alternent et se rejoignent à la tierce. Si Les Brigands ne comportent pas de vrai duo d’amour entre les deux personnages, c’est bien dans ce petit duetto que nos deux protagonistes deviennent musicalement un véritable couple !

Le texte du duetto casse la structure relativement répétitive de la musique et progresse subtilement à chacun des trois couplets. Les deux amants haranguent d’abord le notaire (couplet 1), puis tentent de l’attendrir (couplet 2) avant de le menacer à mots couverts (couplet 3). Mais le véritable coup de génie du livret réside dans le formidable jeu sur les onomatopées des 3 refrains. Ce procédé comique qu’on pouvait déjà entendre, notamment dans les couplets de Cupidon d’Orphée aux enfers, est ici poussé beaucoup plus loin et chaque refrain est l’occasion d’un nouveau « bruitage » : d’abord des « psitt, psitt », puis des bruits de baisers et enfin de très sonores « ha ha » qui ont rapidement valu à ce duetto le surnom de « Duo de l’éclat de rire ».

Pour en savoir plus sur la musique des Brigands.

 

Rédaction de l'article

Que veut dire le mot “lyrique” ?

On apprend aujourd’hui, dans les classes d’art lyrique, à placer sa voix pour le chant… lyrique. Cette technique convient pour l’opéra, la cantate, l’oratorio ou encore pour le lied. Le chanteur y travaille pêle-mêle l’agilité des vocalises, la plénitude du legato, la précision de sa diction, la richesse du timbre, ou encore la justesse de l’expression.

Mais l’association du mot “lyrique” à la voix chantée est assez récente. Construit sur le mot “lyre”, le lyrisme dépeint aussi et avant tout le moyen d’expression du poète.

De la lyre d’Homère à celle d’Orphée, l’instrument est fondateur de la poésie occidentale. Voici une petite histoire du mot “lyrique”.

La lyre antique

Pierre Narcisse Guérin, Homère charme Glaucus par ses chants,
vers 1810, dessin, Valenciennes, Musée des Beaux-Arts.

 

Les premiers emplois du terme “lyrique” qualifient d’abord le poète “faisant des poèmes destinés à être accompagnés avec la lyre »1. Ce lyrisme est surtout d’ordre poétique et a pour objet l’expression de la vie intérieure.

Il faut s’imaginer un aède du monde antique, déclamant à Delphes les grandes épopées, une lyre à la main. L’instrument pouvait comporter 3, 5 ou 7 cordes en tendons et était parfois amplifié par une peau tendue sur une carapace de tortue.

L’Iliade et L’Odyssée d’Homère, épopées fondatrices de la littérature, sont constituées de “chants” qui, bien que versifiés, n’étaient probablement pas entièrement chantés, mais plutôt situés quelque part entre la déclamation et le chant.

Le saviez-vous ? Le Conservatoire National de Musique et de Danse s’appelait jusqu’en 1934 Conservatoire de Musique et de Déclamation.

La naissance de l’opéra

Au début du XVIe siècle, le mot lyrique change de sens pour désigner les poèmes destinés cette fois à être “chantés avec accompagnement de la lyre”1, puis simplement “propres à être chantés”1 à la fin du XVIIe.

Une révolution musicale s’opère dans l’Italie de la Renaissance, avec l’avènement de l’opéra, et notamment l’Orfeo de Monteverdi, créé en 1607 à la cour de Mantoue .

La Camerata fiorentina, cercle composé de poètes et de musiciens florentins, appelle de ses vœux un stile recitativo, pour s’opposer au style de l’époque, estimé trop polyphonique : on reproche au chant choral de nuire à la bonne intelligibilité du texte.

Pourquoi faire chanter par quatre ou cinq voix des textes que l’on ne peut comprendre alors que les anciens faisaient vibrer les passions les plus vives par le seul effet d’une voix soutenue par la lyre ? »2 Vincenzo Galilei, membre de la Camerata fiorentina

La figure d’Orphée

Orphée, muni de sa lyre, est emblématique de l’art lyrique. Chacun en son temps, les compositeurs Monteverdi (1607), Gluck (1762) et Offenbach (1858) se sont emparés du mythe pour en écrire un opéra.

Selon la légende, Orphée se rend aux enfers pour ramener l’infortunée Eurydice dans le royaume des vivants. La porte des enfers est gardée par de multiples spectres, furies et autres larves. S’armant de courage, le jeune musicien les attendrit de son chant et accède aux champs élyséens pour y retrouver Eurydice.

La figure d’Orphée dans l’opéra concilie les deux sens du mot lyrique : il est à la fois poète et musicien.


Orphée et Eurydice, Wq. 41, Act 2 Scene 1: Air, « Laissez-vous toucher par mes pleurs »

Dans cet extrait d’Orphée et Eurydice de Gluck (ré-orchestré par Berlioz en 1859), la lyre est figurée par la harpe et les cordes en pizzicato.

Inaugurant le style satirique qui fera son succès, le malicieux Offenbach, accompagné de ses complices Crémieux et Halévy, parodie le mythe dans Orphée aux enfers.

Eurydice ne dissimule pas sa joie de se séparer enfin de son mari musicien, qui lui casse les oreilles. Cette fois-ci, le malheureux Orphée ne joue pas de la lyre, mais du violon.

 

Extrait du livret :

Orphée, avec passion

Ô roi des cieux et de la terre,

Vois ma douleur et ma misère,

Ma tristesse et mon abandon !

Je viens te demander justice.

Diane, sur le motif de Gluck

On lui ravit son Eurydice.

Orphée, continuant sur son violon.

Et le ravisseur, c’est Pluton !

 

De la même façon que chez Gluck, Orphée cherche à récupérer son Eurydice par son chant et son violon. Seulement, il constitue cette fois-ci le dindon de la farce, et on le tourne en dérision.

Il est amusant de constater la disparition de la lyre dans l’art lyrique d’aujourd’hui, ou plutôt sa métamorphose en piano, dans le cadre du lied, ou en orchestre symphonique. Si on peut reconnaître un écho des déclamations homériques dans les mélodrames3, l’opéra a pris quant à lui le relais du chant modulé d’Orphée.

 
1 “Lyricus”, Französisches Etymologisches WörterbuchRetour vers la suite du texte
2 V. Galilei: Dialogo della musica antica et della moderna (Florence, 1581/R) – Retour vers la suite du texte
3  Un mélodrame est une œuvre dramatique où le texte déclamé est accompagné de musique instrumentale. On trouve aussi des passages en mélodrame au sein des opéra-comiques ou des opéra-bouffes. – Retour vers la suite du texte

Sources

 

Rédaction de l'article

“Soyez pitoyables” – Focus sur le Canon

Le numéro “Soyez pitoyables” fait partie des plus belles pages de la partition. Il intervient au début du 2ème acte. Il est chanté par les brigands – la bande à Falsacappa – déguisés en mendiants: « Ah! Soyez pitoyables, et donnez du pain à de pauvres diables qui meurent de faim ». Les brigands utilisent ce subterfuge pour envahir l’auberge de Pipo et en prendre le contrôle. En effet, cette auberge, située à la frontière entre l’Espagne et l’Italie, est le lieu choisi pour la rencontre de la délégation de la cour de Grenade – dont la princesse vient épouser le duc de Mantoue – et la délégation de Mantoue qui vient les accueillir.

Son écriture en canon permet un formidable crescendo, mené par des entrées en imitation sur scène et dans la fosse. Les solistes, accompagnés des cordes et des bois sont progressivement rejoints par l’ensemble des membres de la troupe qui finissent tous convoqués pour un unisson grandiose du chœur. Cette plénitude laisse paraître la santé des brigands. Ont-ils vraiment si faim ? Goûtons le second degré musical, cher à Offenbach.

 

Détail des différentes entrées:

  • Mesure 1: orchestre seul
  • Mesure 5: entrée de Fragoletto et de Pietro
  • Mesure 24: entrée de Fiorella et de Falsacappa
  • Mesure 32: entrée de Carmagnola, Domino et Barbavano
  • Mesure 36: entrée des 4 jeunes filles et des soprani
  • Mesure 40: entrée des ténors
  • Mesure 45: unisson « Ah! Soyez charitables »
  • Mesure 49: entrée des basses

Pour en savoir plus sur la musique des Brigands.

 

Rédaction de l'article

La musique des Brigands

Dans cette voie et peu à peu, l’opérette rentrera dans le giron du véritable opéra-comique“ Le Ménestrel, le 19 décembre 1869

 

Lorsqu’il commence la composition des Brigands, Jacques Offenbach est considéré comme un maître de l’opéra-bouffe, notamment grâce au succès qu’il a remporté au Théâtre des Variétés.

Après un premier passage peu remarqué à l’opéra-comique avec Barkouf en 1860, il a le désir de mêler ce style d’écriture à celui de l’opéra-bouffe. Violoncelliste à l’orchestre de l’Opéra-Comique de 1835 à 1838, il est familier de ce répertoire.

Observons les moyens mis en œuvre par Offenbach pour concilier la sophistication de l’écriture de l’opéra-comique avec le caractère populaire des opérettes1.

Un mariage de raison entre l’opérette-bouffe et le style de l’opéra-comique

La musique des Brigands relève de l’opérette par deux caractéristiques principales. D’une part, la majorité de ses numéros adopte une forme à retour, que ce soit en alternance “couplets, refrain” ou bien en petite forme ternaire (de type A-B-A). Ces structures régulières, employées dans la chanson, permettent de marquer facilement l’esprit et l’imagination de l’auditeur.

D’autre part, on peut souligner le goût prononcé d’Offenbach pour la danse. Pas un acte ne se déroule sans faire entendre des rythmes bondissants et de joyeux folklores.

Pour varier les plaisirs, le compositeur utilise toutefois des procédés que l’on prête habituellement à la musique savante. On peut ainsi goûter l’écriture en canon du numéro “Soyez  pitoyables”, ou bien les vocalises rossiniennes dessinées par Fiorella ou Falsacappa2.

Sur le plan formel, certains numéros sont composés de plusieurs panneaux, à la manière d’un finale d’acte. Pour passer d’un panneau à un autre, Offenbach emploie des récitatifs variés et raffinés, exigeant de la virtuosité de la part des violons et des bois.

La difficulté d’exécution est aussi présente sur les planches, avec des airs de bravoure, comme le rondo de Fiorella “Après avoir pris à droite” et ses nombreux mordants ou encore l’air du caissier “Ô mes amours, ô mes maîtresses” et ses sauts digne du Tyrol.

Une musique à la frontière entre l’Espagne et l’Italie

La musique des Brigands est le fruit de deux imaginaires féconds du Second Empire : la mode espagnole et la figure romantique du brigand italien3. Pour la caractérisation de ses personnages, Offenbach joue sur les paramètres du rythme, de l’orchestration, mais aussi de l’harmonie.

Ainsi, les couplets de Fiorella “Au chapeau, je porte une aigrette” rappellent l’Espagne avec son rythme de boléro, mais aussi l’Italie avec un accord de sixte napolitaine4 très accentué.

L’accord de sixte napolitaine sur le “fu” de fusil est appuyé par un forte-piano, et confié aux cuivres

 

Fragoletto est quant à lui caractérisé par la saltarelle. Cette danse italienne très vive est construite sur un rythme de trochée ternaire (une longue, une brève). On peut entendre ces notes sautillantes dans “Falsacappa, voici ma prise” ou bien dans les couplets du premier finale “Vole, vole”.

Côté espagnol, le compositeur propose un fandango sur les couplets de Gloria-Cassis “Jadis, vous n’aviez qu’une patrie” introduit par un boléro folklorique avec castagnettes. L’orchestrateur Offenbach y transforme l’orchestre en petit ensemble espagnol : les instruments à cordes, après avoir imité les castagnettes du rebond de leur archet, forment une guitare collective de plus de 60 cordes.

Les jeux de masques

Si le déguisement est un bon ressort dramatique, il constitue aussi un excellent moteur musical. En homme de théâtre, le compositeur joue des faux-semblants et des métamorphoses.

Dans les couplets de Fiorella “Au chapeau je porte une aigrette”, le refrain est doublé aux trompettes, ce qui donne une couleur militaire inattendue pour un brigand, que l’on peut relier aux détonations de son arme à feu. L’harmonisation, par la trompette 2, féminise cependant le caractère martial.

Par ailleurs, le personnage de Fragoletto5 est un rôle travesti. Cette licence théâtrale permet à Offenbach de faire entendre des duos de femmes, avec Fiorella. La voix de mezzo-soprano donne une tendre jeunesse à l’homme qui se retrouve à chanter parfois plus haut que la femme. L’alternance des deux timbres au soprano dans le duetto  “Hé ! la ! hé ! la !” est un bel exemple de l’apport du rôle travesti à la musique.

L’une des métamorphoses les plus réussies de Jacques Offenbach est la mue de la marche militaire en galop. Le rythme binaire de dactyle (une longue, deux brèves) contenu dans la marche est le même que celui du galop, mais à un tempo plus lent. Par une simple accélération, la plus rigoureuse des marches se transforme en la plus débridée des danses. Une fois cette bascule apparue, la moindre musique militaire crée chez l’auditeur la sensation d’une électricité sous-jacente, et l’attente d’un galop survolté.

La technique du finale d’acte

Depuis le XVIIIe siècle, et notamment avec Les noces de Figaro de Mozart, les finales d’acte sont composés de plusieurs panneaux contrastants. Le compositeur travaille le caractère de chacun d’entre eux en jouant sur la métrique, le tempo, la tonalité ou encore la texture instrumentale. Dans la plupart des cas, chaque nouvelle partie opère un gain d’énergie.

Afin de faire avancer l’action, ces panneaux sont parfois reliés par des parties à l’instrumentation allégée, favorisant la clarté de l’énonciation.

A cet égard, le finale du premier acte est archétypique. Après une cérémonie en grande pompe, on passe de mélodies sémillantes en danses bondissantes entrecoupées de géniales abruptions6 militaires qui font tomber brutalement l’excitation et permettent la double exposition d’une orgie.

Voici les danses dans leur ordre d’apparition :

Saltarelle:

Première exposition de l’orgie, Valse:

Première exposition de l’orgie, Gigue:

La première fois, la valse débouche sur une gigue galvanisante. A la reprise, la substitution d’une polka à la gigue produit une excitation encore supérieure:

L’interruption militaire expose le thème “J’entends un bruit de bottes” qui prendra un rôle important dans la suite de la partition, chanté soit au tempo de marche, soit à celui de polka:

Le deuxième finale mélange lui aussi valse, polka, gigue et marche militaire en reprenant celle des carabiniers pour un comique de répétition.

Quant au troisième, chargé de clore l’œuvre, il forme une grande récapitulation. On y entend successivement le fandango de Gloria-Cassis, les couplets de Fiorella et les bottes des carabiniers.

Produits dérivés

Une nouvelle orchestration pour le Théâtre de la Gaîté est proposée le 25 décembre 1878. On compte cette fois-ci pas moins de 52 musiciens en fosse, et un ballet des Espagnols sur scène.

La musique des Brigands connaît un succès au bal avec deux quadrilles composés sur les thèmes principaux, l’un d’Isaac Strauss et l’autre de Jean-Baptiste Arban. On peut y danser le pantalon sur les couplets des jeunes filles “Déjà depuis une grande heure” ou bien sur l’allegro marziale du finale du deuxième acte “Tous sans trompette ni tambour”.

 
1 Nous emploierons « opérette » et « opéra-bouffe » comme des synonymes. Pour en savoir plus sur la différence entre ces deux termesRetour vers la suite du texte
2 Le choix de faire une vocalise sur le u de vertu (chantée par Falsacappa lors de sa première entrée), voyelle impropre aux vocalises mais permettant de faire la bouche en cœur, tient de la facétie. La vertu est ainsi rendue bien sinueuse ! – Retour vers la suite du texte
3 Lors des guerres napoléoniennes, le brigand italien épris de liberté est devenu une figure romantique inspirant les arts et les lettres – Retour vers la suite du texte
4 La tension napolitaine est une altération descendante du second degré qui se résout au demi-ton inférieur, souvent employé dans un renversement de sixte – Retour vers la suite du texte
5 Il est très probable que ce nom fasse écho au roman de Henri de Latouche « Fragoletta, Naples et Paris en 1799 » qui met en scène un hermaphrodite qui se présente tantôt sous les traits d’une certaine Camille, tantôt sous ceux de son frère Adriani – Retour vers la suite du texte
6 Procédé visant à animer le style en supprimant les transitions d’usage – Retour vers la suite du texte

Sources

  • Un mariage de raison entre l’opérette-bouffe et le style de l’opéra-comique. Le Figaro, lundi 13 décembre 1869
  • Giulio Tatasciore, crimes pittoresques. La construction culturelle du brigand italien dans la première moitié du XIXe siècle, Presses Universitaires de France, 2022

Pour accéder au livret complet

 

 

Rédaction de l'article

Oya Kephale : pourquoi ce nom ?

« Oya Kephale » (prononcer oya kéfalé), est extrait d’un couplet d’Oreste dans La Belle Hélène (1ère opérette réalisée par la troupe en 1995). Ces mots de grec signifient « Quelle tête ! », sous-entendu “Quelle tête il fait !”

 

En 1864, date de la création de La Belle Hélène, le public du théâtre des Variétés était semble-t-il suffisamment lettré pour comprendre ce passage. Kephale comptait probablement parmi les premiers mots de grec que l’on apprenait. 

 

Voici le contexte : 

Oreste, fils turbulent d’Agamemnon, entre dans le temple de Jupiter accompagné de “dames de Corinthe” – comprendre : des femmes de petite vertu. La Reine Hélène, et surtout le grand augure de Jupiter, Calchas, sont quelque peu gênés de leur arrivée dans le lieu sacré.

 

Extrait du livret :

HÉLÈNE, se retournant vers la droite avant d’entrer dans le temple.

Tiens ! il est avec Parthénis… Elle s’habille bien, cette Parthénis ! Il n’y a que ces femmes-là pour s’habiller avec cette audace !

Entrée d’Oreste, entrée vive et bruyante. Une petite troupe de joueuses de flûte et de danseuses accompagne Oreste, Parthénis et Léæna. Toute la bande se précipite sur Calchas et l’enveloppe.

CALCHAS, regardant à droite.

Et dire que c’est le fils d’Agamemnon, le fils de mon roi !…

TOUS.

Ohé ! Calchas ! ohé !

ORESTE, à Calchas (chanté).

    Au cabaret du Labyrinthe

    Cette nuit, j’ai soupé, mon vieux,

    Avec ces dames de Corinthe,

    Tout ce que la Grèce a de mieux.

    (Présentant à Calchas Parthénis et Léæna)

    C’est Parthénis et Léæna,

    Qui m’ont dit te vouloir connaître.

CALCHAS, passant entre les deux femmes.

    Pouvais-je m’attendre à cela ?

    Mesdames, j’ai bien l’honneur d’être…

ORESTE.

    C’est Parthénis et Léæna !

TOUS.

    C’est Parthénis et Léæna !

Danses autour de Calchas sur un accompagnement de flûtes et de cymbales.

    Tsing la la, tsing la la !

                     Oya Kephale, Kephale, o la la !

    Tsing la la, tsing la la !

 

La joyeuse troupe se moque des airs que prend Calchas, qui peine à garder sa dignité au milieu de cette excitation.

 

 

Rédaction de l'article

Une opérette, c’est quoi ?

François Le Roux (La Grande duchesse de Gérolstein, mise en scène de Laurent Pelly, Théâtre du Châtelet, 2004), dans le rôle du Général Boum. Un « général d’opérette » ?

« Général d’opérette », « république d’opérette », « une vulgaire chanteuse d’opérette »… Le terme d’opérette n’a décidément pas bonne presse, et on l’utilise volontiers pour donner une tournure péjorative aux personnages et aux situations que l’on veut décrédibiliser.

Partant, nombreux sont ceux qui n’ont jamais vu une seule opérette et qui s’imaginent qu’il ne s’agit que d’une forme d’opéra de second rang. Un tel préjugé ne date pas d’aujourd’hui. Dès le milieu du XIXe siècle, le critique musical François-Joseph Fétis définissait l’opérette ainsi dans le Littré (1863-1873): « Mot qui a passé de la langue allemande dans le français, et par lequel on désigne de petits opéras sans importance par rapport à l’art ».

Certes, tout préjugé a un petit fondement de vérité. Alors, l’opérette, c’est juste un opéra léger ou un petit opéra ? Ou les deux en même temps, mon général ?

Une définition rigoureuse de l’opérette paraît très délicate, tant le genre est devenu protéiforme au gré des évolutions qu’il a connues dans son histoire.

Alors, sans prétendre vous apprendre ce qu’est l’opérette, osons au moins vous dire ce qu’elle n’est pas vraiment !

L’opérette, un petit opéra ?

L’opérette serait selon ce premier point de vue une forme réduite de l’opéra, qu’attesterait d’ailleurs la portée diminutive du suffixe -ette:  maisonnette, fillette, ou… bolinette comme dirait Numérobis.

Mais en quoi l’opérette serait-elle moins grande qu’un opéra ? Du fait d’un lieu de production plus modeste, d’une durée plus brève, d’un argument plus ramassé, d’un plus petit nombre de personnages, ou d’instrumentistes ?

L’opérette française sous Offenbach

La question du lieu de la création est une caractéristique fondatrice du genre de l’opérette.

A l’époque des « pères » de l’opérette, que furent Hervé ou Offenbach, une réglementation particulièrement stricte encadrait les productions théâtrales. Héritée d’un système de privilèges établi sous le premier Empire, elle limitait le nombre de salles de théâtres – d’abord à 8 sous Napoléon Ier – et elle régulait le type de spectacles pouvant y être joués.

Des dérogations ont progressivement été accordées au début du Second Empire, permettant notamment à Offenbach d’ouvrir un petit théâtre, bénéficiant de l’autorisation d’y produire des « scènes comiques et musicales dialoguées à deux ou trois personnages ».

Le théâtre des Bouffes Parisiens voit le jour en 1855, et Offenbach peut y diriger ses premières opérettes, comme Les Deux aveugles et Le Violoneux. Ces œuvres respectent alors les restrictions énoncées, et, de fait, les caractéristiques de durée et d’effectif limités.

Caricature d’Offenbach cherchant une nouvelle salle pour le théâtre qu’il vient de créer. Après avoir connu le succès estival de l’Exposition universelle, le théâtre des Bouffes-Parisiens quitte les Champs-Elysées, et emménage dès l’hiver 1855 à la salle Choiseul, proche de l’Opéra-Comique.

Ainsi, le livret tient le plus souvent en un acte unique. Par conséquent, la durée d’une opérette sera mécaniquement plus courte que celle d’un opéra, qui se décline en deux, trois voire quatre ou cinq actes.

Mais Offenbach persévère. Petit à petit, il s’affranchit de ces restrictions et compose des pièces plus longues, avec un quatrième personnage (Bataclan, 1855), puis un cinquième (Croquefer, 1857), jusqu’à même pouvoir y insérer des chœurs ! C’est alors que le répertoire d’Offenbach évolue vers un registre plus proche de l’opéra-comique, avec Orphée aux enfers, créé en 1858. L’opérette est peu à peu délaissée au gré de l’assouplissement réglementaire, qui culmine avec la parution du décret sur la liberté des théâtres en 1864. Offenbach ne compose que très rarement des opérettes à partir de cette période, et il se consacre essentiellement à l’écriture d’opéras-bouffes, d’opéras-fééries et d’opéras-comiques, œuvres plus « grandes » par leur durée et leur effectif.

De grandes opérettes ?

Hélas, on ne peut s’arrêter à ce critère de taille pour définir l’opérette, le terme ayant été revendiqué par des compositeurs plus tardifs qui s’en sont écartés.

Ainsi en est-il des opérettes autrichiennes, dont les plus célèbres, comme La Chauve-souris (1874) de Johann Strauss fils, ou La Veuve joyeuse (écrite en 1874, mais créée en 1905) de Franz Lehar, sont écrites en trois actes, et incluent un grand nombre de personnages, des chœurs, ainsi qu’une instrumentation étoffée.

De même, les opérettes françaises du XXe siècle échappent à ces critères, quand on songe à celles de Maurice Yvain (Là-haut, 1922), d’André Messager (Coups de roulis, 1928) ou de Francis Lopez (Le Chanteur de Mexico, 1955).

Luis Mariano « Le chanteur de Mexico » (Archive INA). Le Chanteur de Mexico, air extrait de l’opérette éponyme, immortalisé par le ténor Luis Mariano.

Mais alors, quel est le point commun entre ces dernières pièces et les opérettes originelles d’Offenbach ?

L’opérette, un opéra qui ne se prend pas au sérieux ?

Peut-être serait-ce le critère du caractère léger et satirique qui pourrait alors servir de dénominateur commun aux différentes formes d’opérette.

L’opérette en opposition à l’opéra ?

C’est en effet sous cet angle que l’on aime à distinguer d’une part, le genre de l’opéra, solennel, grandiose, grave et noble, qui séduit les classes intellectuelles et aristocratiques, et d’autre part, le genre de l’opérette, trivial, burlesque voire ridicule, qui n’amuserait que la petite bourgeoisie. Cette distinction est hélas bien trop exagérée, et là encore, la faute peut être imputée à ce suffixe en -ette, qui n’aide pas, avec sa connotation souvent dégradante (mauviette, pichenette, lavette etc.).

De plus, elle est erronée, car confusion est ici faite entre opera-buffa et opérette. L’opérette n’est en effet pas un produit dérivé de l’opéra, comme l’est l’opera-buffa, qui s’est développé à partir de l’operia-seria, et qui inspirera les opéras-bouffes d’Offenbach.

La satire oui, mais pas n’importe laquelle…

Certes, l’opérette demeure une œuvre souvent satirique et peut même avoir des allures de farce. Mais l’opera-buffa s’appuie tout de même sur des thèmes ou des personnages tirés d’une littérature savante, évoluant dans une intrigue relativement élaborée qui explore les moeurs de l’époque – et la façon dont elles sont habilement contournées, comme il Barbiere di Siviglia de Rossini ou Cosi fan tutte de Mozart. L’opérette, quant à elle, met en avant des situations plus familières et proches du quotidien, dans une narration qui relève plus du vaudeville que de la comédie, sans autre but que de distraire.

il Barbiere di Siviglia – Rossini Opéra de Rouen-Normandie 2019, Finale de l’acte II (version de l’Opéra de Rouen-Normandie, mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau). L’opérette et surtout l’opéra-bouffe reprennent les motifs satiriques et les airs enjoués de l’opera-buffa, lequel demeure cependant caractérisé par une finalité morale, ici inspiré de la pièce de Beaumarchais, Le Barbier de Séville ou La Précaution inutile.

De plus, contrairement à l’opera-buffa, l’opérette comporte des dialogues parlés – ce qui la rapproche alors de l’opéra-comique. Mais là encore, ce critère de proximité avec le genre du vaudeville ne s’applique pas tellement aux opérettes autrichiennes évoquées plus haut. L’on pourrait d’ailleurs presque croire que ces dernières relèveraient plus de l’opéra-bouffe, et que le terme d’opérette leur serait appliqué pour mieux souligner l’influence d’Offenbach. Notons d’ailleurs que le livret de La Chauve-souris trouve son origine dans une comédie de Meilhac et Halévy (Le Réveillon), qui furent eux-mêmes librettistes d’un grand nombre d’œuvres offenbachiennes.

La Chauve-Souris, quoiqu’intitulé “opérette” par Strauss lui-même, ressemblerait davantage à un opéra-bouffe offenbachien. Ici l’air du Prince Orlofsky “Im Feuerstrom der Reben dont l’ambiance n’est guère éloignée du final de l’acte III de La Vie parisienne: Die Fledermaus – English subtitles – Bavarian State Orchestra 1987 – Kleiber Wachter Coburn. Source de l’image : carte postale pour le 25e jubilé de la création de la Chauve-souris, Wienbibliothek, WBR, HS, HIN-223954.

Mais alors, qu’est-ce qu’une opérette ?

Comme annoncé d’emblée, il était plus évident de dire ce que n’est pas une opérette. Dire ce qu’elle est précisément, c’est prendre le risque de la figer dans un genre artificiel, qui ne tient pas compte de la réalité historique – celle d’une incrémentation progressive d’influences des différents compositeurs d’opérettes à travers les âges et les pays. Et pour celles et ceux qui voudront encore obtenir une définition canonique de l’opérette, il faudra se contenter de rechercher un faisceau d’indices à la manière des juristes, en gardant en tête que ces critères sont loin de s’autosuffire :

  • Brièveté du livret
  • Effectif réduit, tant pour les chanteurs que les instrumentistes
  • Thème léger et satirique, proche du vaudeville
  • Présence de dialogues parlés

Si vous avez bien suivi, vous aurez donc compris que, malgré les abus de langage, Oya Kephale n’a jamais produit une seule opérette ! Eh oui, si Offenbach est, pour l’heure, le seul compositeur que nous mettons à l’honneur au théâtre d’Asnières, nous n’avons joué que ses opéra-bouffes et ses opéra-fééries.

Sources

 

 

Rédaction de l'article

Mais qui est Jacques Offenbach ?

Si le nom d’Offenbach sonne familier pour beaucoup, bien peu sont capables de fredonner l’un de ses airs  – au-delà du cercle ésotérique des fanatiques de musique classique. Et pourtant, s’ils ont le malheur de tomber sur un musicien excité de la troupe Oya Kephale qui leur explique qu’il a forcément déjà entendu ça, ils se ravisent et affirment d’un ton assuré « Ah, mais oui, c’est le mec qui a fait le French can-can ! »

 

 

Las, il faut alors entreprendre de leur expliquer que ce n’est pas exactement ça, que le Moulin Rouge a ouvert dix ans après la mort d’Offenbach et que sa vie est loin de se résumer à ces quelques mesures légères et endiablées, qui ont certes fait le tour du monde.

 

 

 

Un enfant prodige

Jakob Offenbach naît en 1819 à Cologne, d’un père musicien et chantre à la synagogue. Il révèle très tôt d’excellentes aptitudes pour la composition et pour la pratique du violon, puis du violoncelle.

Son père lui fait quitter l’Allemagne dans l’espoir de le faire admettre au Conservatoire de Paris. Son talent lui vaut d’être accepté par son directeur, Luigi Cherubini, et ce malgré son jeune âge (14 ans) et sa citoyenneté allemande. Rappelons que Liszt et Franck avaient été refusés peu avant au Conservatoire, du fait de leur citoyenneté étrangère. Il adopte alors le prénom de Jacques, et s’empresse d’achever ses études pour tenter de vivre de sa musique.

De la musique de théâtre à l’opéra-bouffe

Il intègre en 1835 l’Opéra-Comique comme violoncelliste permanent, et il y découvre notamment le théâtre et le développement du répertoire lyrique. Parallèlement, il se produit dans les salons et se fait remarquer par son jeu virtuose.

C’est en 1850 que sa vocation de compositeur d’œuvres lyriques se confirme, lorsqu’il devient directeur musical de la Comédie-Française.

Il écrit ses premières opérettes en 1853 mais, à son grand désarroi, ne parvient pas à les faire jouer à l’Opéra-Comique. C’est alors qu’il crée le Théâtre des Bouffes-Parisiens où il peut librement faire jouer ses compositions. La position astucieuse de ce théâtre, sur l’avenue des Champs-Elysées, lui permet aussi de drainer un public particulier, celui de l’Exposition universelle de 1855. Le succès de ses premières pièces fait grandir sa notoriété, et lui vaudra d’être surnommé par Rossini « le petit Mozart des Champs-Elysées ».

C’est d’ailleurs l’opera-buffa de Rossini qui inspire le nouveau genre qu’Offenbach entend développer après celui de l’opérette : l’opéra-bouffe. Orphée aux enfers, « opéra-bouffon », fait figure d’œuvre pionnière de ce genre et lui assure un succès progressif. C’est notamment dans cette œuvre que l’on retrouve le fameux galop infernal, repris en can‑can par la suite.

 

 

Divertir le Second empire … et le reste du monde

Après avoir quitté la direction du Théâtre des Bouffes-Parisiens en 1862, Offenbach est très sollicité par les grandes salles parisiennes : au Théâtre des Variétés sont créées La Belle Hélène, Barbe-Bleue, La Grande Duchesse de Gérolstein, La Périchole, et Les Brigands, et à celui du Palais-Royal, La Vie parisienne. Ces œuvres, qui dépeignent, non sans ironie, les grandes heures du Second Empire, suscitent un engouement croissant, et marquent un véritable apogée dans la carrière d’Offenbach.

Il retrouve également la fosse de l’Opéra-Comique, mais cette fois-ci à la direction, en y créant plusieurs œuvres comme Robinson Crusoé et Vert-Vert. La popularité qu’Offenbach acquiert avec ses opéras-bouffes et ses mélodies gagne le reste de l’Europe, en particulier Vienne, où il produit systématiquement une version allemande de ses œuvres. Sa renommée s’étend aussi outre-Atlantique, et lui vaudra une tournée mémorable aux États-Unis en 1876.

Une dernière décennie en dents de scie

Cet heureux épisode intervient cependant au cours d’une période contrastée pour Offenbach. Les années 1870 marquent en effet un tournant dans la vie politique et culturelle en France : le Second Empire prend fin à la suite de la défaite de Sedan. Un esprit revanchard, galvanisé par la perte de l’Alsace et de la Moselle, gagne toutes les couches de la société française. La Prusse et ses ressortissants sont pris pour cibles, et Offenbach n’est pas épargné. Malgré la Légion d’Honneur et la nationalité française qu’il a obtenues quelques années plus tôt, il se sent persona non grata et quitte Paris, puis la France. À son retour en 1873, il devient directeur du Théâtre de la Gaîté, où il crée ses premiers opéras-fééries (Le Roi Carotte, Le Voyage dans la Lune).

Il meurt en 1880, quelques mois avant la création des Contes d’Hoffmann, qui deviendra l’un des opéras français les plus joués, après Carmen de Bizet. Auteur d’une centaine d’œuvres lyriques, Offenbach s’est indéniablement imposé comme une figure incontournable du Second Empire puis comme un compositeur de référence dans l’histoire de la musique.

Dates-clefs

  • 1819 : naissance à Cologne (Allemagne).
  • 1833 : admission au Conservatoire de Paris, dans la classe de violoncelle.
  • 1850 : nomination comme directeur musical de la Comédie Française.
  • 1855 : création de son propre théâtre, les Bouffes-Parisiens, sur l’avenue des Champs-Elysées.
  • 1858 : création d’Orphée aux enfers, premier opéra-bouffe.
  • 1860 : obtention de la nationalité française.
  • 1873 : prise de fonctions comme directeur du théâtre de la Gaîté.
  • 1876 : tournée aux Etats-Unis.
  • 1880 : décès à Paris.
  • 1881 : première représentation des Contes d’Hoffmann.

 

Sources

 

 

Rédaction de l'article

Pourquoi le hautbois donne-t-il le la ?

Dès les premières minutes d’un concert d’orchestre, vous l’aurez compris : le Crédit Mutuel ne possède pas le monopole du don du la.

Les instrumentistes arrivent sur scène, préchauffent un peu leur instrument, rafistolent peut-être les derniers passages incertains. Soudain, le premier hautbois se lève: silence religieux du public et des musiciens.

Le hautboïste sonne fièrement un la, annonce d’un capharnaüm-prélude au concert, rite naturel et nécessaire.

 

 

Recette simple et rapide pour accorder un orchestre symphonique :

Un accord d’orchestre réalisé dans les règles de l’art se déroule ainsi : 

  1. Le hautbois donne d’abord le la aux vents. Pour les instruments transpositeurs (lien vers un article dédié) qui le préfèreraient, un si bémol sera parfois proposé dans un second temps.
  2. Une fois les vents accordés, le hautboïste communique ce même la au premier violoniste.
  3. Parce qu’il est plus facile d’accorder son instrument par rapport à un timbre proche, c’est le premier violon qui reprend le flambeau et supervise l’accord des cordes, pupitre par pupitre, des plus graves (contrebasses et violoncelles) aux plus aigus (altos et violons).
  4. Ce n’est que lorsque chaque pupitre a amené sa corde de la à la hauteur désirée que les trois autres sont réglées, et que l’ensemble des membres de l’orchestre peaufine son accord.

Le concert est alors prêt à être dégusté.

Ça, ce sont les règles du jeu officielles. Il peut arriver que, par économie de temps, le hautbois livre son la et puis… chacun pour sa peau! 

La première violoniste de la troupe en quête d’un la

Mais pourquoi le hautbois comme référence?

Trêve de suspense : point de certitudes sur le pourquoi du comment du hautbois qui donne le la. Seulement des hypothèses.

L’une d’entre elles voudrait que le timbre bien particulier du hautbois (une clarinette peut éventuellement faire l’affaire en cas de retard du hautboïste), clair et facilement identifiable, permette à chaque musicien de s’y retrouver dans le brouhaha ambiant. 

Une émission plus constante (donc une justesse plus stable) de cet instrument par rapport aux instruments à cordes pourrait aussi expliquer pourquoi ce n’est pas le premier violon (pourtant honoré du titre de Konzertmeister, “maître de concert”) qui met tout l’ensemble d’accord. 

La raison pourrait enfin être géographique : le hautbois se situant plus ou moins au milieu de l’orchestre, il n’a qu’à se tourner vers ses collègues pour leur signifier de suivre sa note. 

Mais est-ce que tout ce spectacle est vraiment nécessaire?

Absolument. Je dirais même plus  : un second accord est parfois nécessaire, après l’entracte ou entre deux longues pièces. 

Les instruments ont en effet une fâcheuse tendance à se désaccorder. Les instruments faits de bois subissent les variations d’hygrométrie et de température, “travaillent” et “bougent”, à la manière des parquets des vieilles maisons. 

Les vents, sont sujets à d’autres lois impénétrables de la physique : à force de souffler dans l’embouchure, la température monte, la hauteur de la note augmente aussi… 

Un orchestre n’est pas juste un rassemblement de musiciens individuels, c’est un ensemble aux couleurs homogènes. Imaginez une seule seconde, si chacun s’accordait de son côté, de façon désordonnée, suivant son propre diapason : ça ferait des grumeaux aux oreilles. La recette donnée plus haut est donc nécessaire, CQFD. 

Enfin, le moment de l’accord est un point de repère. Les musiciens se remettent “dans le son” de l’orchestre, le public se tait, le concert va commencer. 

Pendant ce temps, le chef d’orchestre, resté en coulisses, travaille activement à se faire désirer.

Il finit par pointer son nez… vague d’applaudissements… silence… geste… Bon concert ! 

Sources

 

 

Rédaction de l'article