Psaume 42 de Mendelssohn : le Psaume des noces

À l’âge de 28 ans, Felix Mendelssohn commence la composition du Psaume 42, Wie der Hirsch schreit. Très tôt, il pressent que son œuvre sera réussie. “Un chœur et une partie soliste [dans le psaume] me rendent particulièrement heureux”, déclare-t-il à Ferdinand David, premier violon du Gewandhaus de Leipzig, en juin 1837.

 

“Cher Felix, dis-m’en plus sur ton psaume, Wie der Hirsch schreit (comme un cerf altéré cherche l’eau vive). Rée-t-il à 4 voix ou à 8, a cappella ou accompagné ?”
Lettre de Fanny Mendelssohn à son frère Felix, 10 juillet 1837.

 

Un voyage de noces en musique

En juillet 1836, à la faveur d’un remplacement en tant que chef de chœur, Felix Mendelssohn s’éprend de Cécile Jeanrenaud. Pour vérifier les sentiments qu’il éprouve à son égard, il s’absente et suit une cure à Schéveningue (Pays-Bas).

Les jeunes amoureux finissent par convoler en mars 1837 et gagnent Fribourg et la Forêt-Noire pour leur lune de miel. C’est dans ce cadre idyllique que le compositeur s’empare du texte biblique. 

Un texte protestant contrasté

Le Psaume 42, attribué aux fils de Coré1, est issu de l’Ancien Testament. Depuis la Réforme, il a été mis en musique par de nombreux compositeurs allemands, notamment par Bach. Issu d’une famille juive convertie au luthéranisme, Mendelssohn s’inscrit volontairement dans la ligne de ses coreligionnaires, en composant à son tour sur ce poème prêté à des révoltés. Les psalmistes prennent l’image d’un cerf altéré qui soupire après l’eau vive pour décrire le combat spirituel d’un croyant en proie au doute. Deux grands mouvements de l’âme se côtoient : d’un côté, le doute et la mélancolie, de l’autre l’espérance et la foi triomphante. Ces sentiments se renforcent mutuellement par le jeu du contraste. Ainsi la succession du récit angoissé Mein Gott, betrübt ist au chœur glorieux Harre auf Gott met en relief la tristesse du croyant esseulé.

Un psaume-cantate du XIXe siècle

Mendelssohn est marqué par les œuvres de Bach et de Haendel, qu’il a notamment chantées à la Singakademie2 de Berlin avec sa sœur Fanny. Le terme de psaume-cantate est souvent employé pour désigner ses psaumes, en référence à la structure des cantates baroques, composées de chœurs et d’airs introduits par des récitatifs. De même, l’emploi d’un hautbois obligé3 pour l’air Meine Seele dürstet nach Gott sonne comme un hommage au cantor de Leipzig. Mais plus encore que de Bach, le compositeur s’inspire de Haendel. En 1835, il se procure une édition en 32 volumes de son œuvre, et notamment des psaumes-cantates pour chœur et orchestre. On constate cette influence dans l’emploi des timbales et des cuivres sur la doxologie.

 


1 Coré est une figure de l’Ancien Testament, connu pour avoir mené une révolte contre Moïse et Aaron.

2 Fondée en 1791, la Singakademie de Berlin a pour vocation de conserver et de donner des représentations de la musique chorale sacrée du XVIIIe, et notamment de celle de Bach.

3 L’instrument obligé (obligato) est utilisé depuis l’époque baroque pour accompagner le chanteur, formant avec lui un duo. Le plus souvent, l’instrument figure l’âme du chanteur. Il ne peut pas être remplacé par un autre instrument, et sa partie ne peut être supprimée.

 


Felix Mendelssohn (1809-1847)

Psaume 42 pour chœur, solo et orchestre op. 42 Wie der Hirsch schreit

 

Chœur Wie der Hirsch schreit

Air Meine Seele dürstet nach Gott

Récitatif Meine Tränen sind

Air et chœur Denn ich wollte

Chœur Was betrübst du dich

Récitatif Mein Gott, betrübt ist

Quintette Der Herr hat des Tages

Chœur Was betrübst du dich

 

Composition : 1837-1838.

Création : le jour du nouvel an 1838, au Gewandhaus de Leipzig, pour la version en quatre mouvements ; le 8 février 1838 à l’occasion d’un concert de charité, au Gewandhaus, pour la version en sept mouvements, sous la direction du compositeur.

Effectif : soprano solo – chœur mixte – 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, 3 trombones – timbales – orgue – cordes

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Symphonie n°1 de Beethoven : la première d’entre-elles

Beethoven dédie sa symphonie au baron Van Swieten, l’un de ses premiers protecteurs à Vienne, mélomane et ami de Wolfgang Amadeus Mozart, ainsi que de Joseph Haydn. Le public viennois accueille positivement cette symphonie, n’y opposant que quelques critiques négatives. Ces dernières reprochent au compositeur son style trop « militaire », ainsi que les étonnantes libertés qu’il se permet déjà de prendre avec les codes de l’époque.

 

Les premières mesures de la symphonie présentent une introduction lente, qui, au lieu d’affirmer la tonalité principale comme pourrait l’attendre le public, créent une instabilité tonale et suggèrent trois tonalités successives, fa, do et sol. Puis, cette introduction lente se stabilise enfin en do, et déroule une mélodie calme et tendre.

L’Allegro qui suit, de forme-sonate1, se compose d’une exposition à deux thèmes : un premier, très rythmique, donné aux cordes, et un second, plus mélodique, qui déploie un jeu de questions/réponses entre les cordes et les bois. Le développement, très modulant, se construit autour du premier thème. Puis, la réexposition donne à nouveau à entendre les deux thèmes, avant de se terminer par une coda.

L’Andante cantabile con moto, de forme-sonate, comme l’allegro précédent, évoque sans peine le deuxième mouvement de la Symphonie n° 40 en sol mineur de Mozart. Son premier thème nous présente un fugato : les instruments entrent successivement sur un motif léger, émaillé de rythmes pointés. Le second thème diffère peu du premier, mais emploie le ton de la dominante. On y retrouve l’articulation de deux notes liées dans un intervalle ascendant, les rythmes pointés et la légèreté des croches, tantôt piquées tantôt liées. L’originalité de ce mouvement réside dans l’utilisation des timbales dans la codetta, qui effectuent un très discret ostinato sur le rythme pointé. Le développement se base sur l’ostinato rythmique, repris par les cordes. Un jeu de questions-réponses s’instaure alors entre les bois, puis entre les cordes et les vents. La réexposition reprend les deux thèmes : le premier, légèrement varié avec un contrechant aux violoncelles, puis le second, cette fois dans la tonalité principale. Enfin, la coda fait entendre une dernière variation du premier thème.

Le troisième mouvement porte  l’indication menuetto sur la partition, mais son tempo très vif annonce davantage un scherzo2. Beethoven n’emploie d’ailleurs plus par la suite le terme de menuetto. Un peu plus éclairci dans ses timbres, le trio central du mouvement, présente un second scherzo, enchâssé dans le premier, durant lequel les interventions volubiles des violons répondent aux appels pastoraux des vents. Enfin, après un Da Capo (reprise depuis le début du menuet), le quatrième mouvement suit, sans interruption.

Ce dernier débute par une introduction lente, où s’opposent la puissance d’un accord parfait de sol majeur, joué par tout l’orchestre, et les gammes hésitantes des violons, d’abord courtes, puis de plus en plus complètes. La dernière gamme, jouée intégralement, sert de base à l’Allegro final, espiègle et enjoué, de forme‑sonate. La réexposition se conclut par deux points d’orgue interrogatifs ; puis, s’ensuit une coda reprenant le motif principal, assorti d’une marche joyeuse aux hautbois et aux cors.


1 Le terme forme-sonate désigne une forme musicale en 3 parties : exposition, développement, réexposition. Son intérêt se trouve dans ses thèmes contrastés ainsi que leur entremêlement dans le développement.

2 Héritier du menuet, le scherzo est une forme musicale à 3 temps, légère et vivace. Il est suivi par un trio à 3 temps, avant la reprise du scherzo. Là où le menuet se veut dansant, le scherzo se veut joueur.


Adagio molto – Allegro con brio

Andante cantabile con moto

Menuetto. Allegro molto e vivace

Adagio – Allegro molto e vivace

 

Composition : entre 1799 et 1800.

Création : le 2 avril 1800 à Vienne, sous la direction du compositeur.

Effectif : flûtes, hautbois, clarinettes et bassons par deux, cors et trompettes par deux, timbales, cordes.

Durée : environ 27 minutes.

 


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« Jesu, Meine Freude » de Bach, entre sobriété et génie musical

Créé à Leipzig en 1723, le motet Jesu, meine Freude est un jeu subtil entre la sobriété de la liturgie  luthérienne et le génie musical de Jean-Sébastien Bach. Tout part d’un cantique luthérien du XVIIe siècle, écrit par Johann Crüger et chanté par l’assemblée dans les temples protestants. Le motet de Bach est une succession d’harmonisations différentes de ce choral tout simple, ainsi transfiguré en un monument musical remarquablement charpenté. 

 

“Sans Bach, la théologie serait dépourvue d’objet, la Création fictive, le néant péremptoire. S’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu.”
Cioran, Syllogismes de l’amertume.

 

Une harmonisation virtuose de la simplicité liturgique

Jesu, meine Freude est une prodigieuse harmonisation sans cesse recommencée du choral luthérien, que l’on entend de façon récurrente, porté par les sopranos 1, tandis que les autres voix brodent et enrichissent merveilleusement la pureté initiale du motif. 

Bach a par ailleurs choisi de transformer le choral, forme musicale éminemment épurée, en motet. Le motet trouve ses origines médiévales dans la simplicité du chant grégorien mais n’a cessé de se complexifier au fil de l’histoire de la musique, en intégrant peu à peu des voix supplémentaires, ayant chacune leur rythmique et leur texte propre. Pour comprendre la richesse du motet, on peut se figurer en peinture un ensemble de scènes différentes superposées sur une même toile de façon à ce que chaque scène soit identifiable indépendamment des autres mais que l’œuvre dans son ensemble conserve sa cohérence. À l’époque baroque, il est ainsi devenu une forme musicale très riche, qui permet aux compositeurs d’exercer leur maestria

Dans cette grande densité musicale, on retrouve pourtant des éléments rappelant la simplicité initiale de la forme, à laquelle Bach reste attaché. Il fait par exemple souvent le choix d’une musique figurative, qui exprime le message de son texte. Ainsi, dans le 5e mouvement Trotz dem alten Drachen, les basses illustrent les mots “tobe” (“enrage”) et “brummen” (“grondent”) par de vigoureux mélismes dans les graves, donnant ainsi à entendre la tempête du combat spirituel. L’unisson soudain des cinq voix sur le “ich steh hier und singe” (“je me tiens ici, et je chante”) fait entendre la fermeté et la cohésion du chœur – image des fidèles luthériens – face aux attaques du monde. Cet équilibre entre la simplicité du motif et la richesse de la composition fait tout le génie de l’œuvre.

Deux textes en dialogue : un enrichissement du message spirituel

Le choral de Crüger, composé en 1653, met en musique un poème de Johann Franck, Jesu, meine Freude, véritable déclaration d’amour du croyant à Jésus, qu’il chante être sa joie et son soutien face aux épreuves et à la vacuité de l’existence. Le poème est composé de six strophes, que Bach reprend successivement dans les 1er, 3e, 5e, 7e, 9e et 11e mouvements de l’œuvre. Le poème commence et finit par une adresse directe à Jésus pour lui exprimer son amour et sa confiance. Les quatre strophes intermédiaires évoquent l’épreuve des maux terrestres, que le poète affronte d’abord dans la colère et le combat, puis traverse avec une certaine douceur apaisée, que Bach met magnifiquement en musique dans le Gute Nacht, o Wesen. Le croyant s’unit plus fortement à Jésus dont il redit en apothéose finale qu’il est toute sa joie.

Dans son motet, Bach a choisi d’étoffer le cheminement spirituel du texte en y intercalant des extraits de l’épître de Saint Paul aux Romains (VIII 1-2; 9-11), qui affirme la nature spirituelle de l’homme, créature de Dieu et appelé à se libérer de l’emprise de la chair. Cette glose permet de renforcer le message du choral, et de servir l’office des funérailles pour lesquelles l’œuvre a été composée : le croyant est réaffirmé comme libre face aux forces du mal dans la mesure où il s’unit à Dieu. 

Une architecture finement charpentée

Pour structurer son œuvre, Bach ne s’est pas contenté d’alterner deux textes distincts : les onze mouvements obéissent à une architecture symétrique autour du mouvement central de fugue, Ihr aber seid nicht fleischlich. Au choral initial (1) répond le choral final (11), au trio de voix hautes (4) répond celui de voix basses (8), et au chœur Es ist nun nichts (2) répond le chœur So nun der Geist (10), qui reprend quasiment les mêmes motifs musicaux. Toute la structure du motet met donc en valeur le message central de la fugue : “Mais vous, vous ne vivez pas selon la chair, mais selon l’Esprit”. 

Petit clin d’œil symbolique, le motet suit donc une structure en chiasme. Le chiasme évoque la lettre grecque Chi (χ), qui est aussi la première lettre du mot “Christ”. Selon Katherine R. Goheene, cette structure chiastique symbolise de façon intentionnelle le Christ dans la métaphysique musicale de l’époque. 

C’est donc par une architecture finement construite que Bach décline et sublime la simplicité du cantique luthérien.

 


Johann Sebastian Bach (1685-1750)

Jesu, meine Freude (BWV 227)

  1. Choral Jesu, meine Freude
  2. Chœur Es ist nun nichts
  3. Choral figuré Unter deinen Schirmen
  4. Trio Denn das Gesetz
  5. Chœur Trotz dem alten Drachen
  6. Fugue Ihr aber seid nicht fleischlich
  7. Choral figuré Weg mit allen Schätzen
  8. Trio So aber Christus in euch ist
  9. Chœur Gute Nacht, o Wesen
  10. Chœur So nun der Geist
  11. Choral Weicht, ihr Trauergeister

Composition : vraisemblablement par morceaux, à diverses époques, et finalisé à la fin des années 1720.

Création : le 18 juillet 1723, à la Nikolaikirche de Leipzig, à l’occasion des funérailles de Johanna Maria Kees, la fille du recteur de la Thomasschule, où Bach venait d’être nommé Thomaskantor. Il s’agit donc d’un motet funèbre.

Effectif : chœur à 5 voix (SSATB), avec une alternance de pièces à 3, 4 ou 5 voix.

 


Sources

 

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La musique des Brigands

Dans cette voie et peu à peu, l’opérette rentrera dans le giron du véritable opéra-comique“ Le Ménestrel, le 19 décembre 1869

 

Lorsqu’il commence la composition des Brigands, Jacques Offenbach est considéré comme un maître de l’opéra-bouffe, notamment grâce au succès qu’il a remporté au Théâtre des Variétés.

Après un premier passage peu remarqué à l’opéra-comique avec Barkouf en 1860, il a le désir de mêler ce style d’écriture à celui de l’opéra-bouffe. Violoncelliste à l’orchestre de l’Opéra-Comique de 1835 à 1838, il est familier de ce répertoire.

Observons les moyens mis en œuvre par Offenbach pour concilier la sophistication de l’écriture de l’opéra-comique avec le caractère populaire des opérettes1.

Un mariage de raison entre l’opérette-bouffe et le style de l’opéra-comique

La musique des Brigands relève de l’opérette par deux caractéristiques principales. D’une part, la majorité de ses numéros adopte une forme à retour, que ce soit en alternance “couplets, refrain” ou bien en petite forme ternaire (de type A-B-A). Ces structures régulières, employées dans la chanson, permettent de marquer facilement l’esprit et l’imagination de l’auditeur.

D’autre part, on peut souligner le goût prononcé d’Offenbach pour la danse. Pas un acte ne se déroule sans faire entendre des rythmes bondissants et de joyeux folklores.

Pour varier les plaisirs, le compositeur utilise toutefois des procédés que l’on prête habituellement à la musique savante. On peut ainsi goûter l’écriture en canon du numéro “Soyez  pitoyables”, ou bien les vocalises rossiniennes dessinées par Fiorella ou Falsacappa2.

Sur le plan formel, certains numéros sont composés de plusieurs panneaux, à la manière d’un finale d’acte. Pour passer d’un panneau à un autre, Offenbach emploie des récitatifs variés et raffinés, exigeant de la virtuosité de la part des violons et des bois.

La difficulté d’exécution est aussi présente sur les planches, avec des airs de bravoure, comme le rondo de Fiorella “Après avoir pris à droite” et ses nombreux mordants ou encore l’air du caissier “Ô mes amours, ô mes maîtresses” et ses sauts digne du Tyrol.

Une musique à la frontière entre l’Espagne et l’Italie

La musique des Brigands est le fruit de deux imaginaires féconds du Second Empire : la mode espagnole et la figure romantique du brigand italien3. Pour la caractérisation de ses personnages, Offenbach joue sur les paramètres du rythme, de l’orchestration, mais aussi de l’harmonie.

Ainsi, les couplets de Fiorella “Au chapeau, je porte une aigrette” rappellent l’Espagne avec son rythme de boléro, mais aussi l’Italie avec un accord de sixte napolitaine4 très accentué.

L’accord de sixte napolitaine sur le “fu” de fusil est appuyé par un forte-piano, et confié aux cuivres

 

Fragoletto est quant à lui caractérisé par la saltarelle. Cette danse italienne très vive est construite sur un rythme de trochée ternaire (une longue, une brève). On peut entendre ces notes sautillantes dans “Falsacappa, voici ma prise” ou bien dans les couplets du premier finale “Vole, vole”.

Côté espagnol, le compositeur propose un fandango sur les couplets de Gloria-Cassis “Jadis, vous n’aviez qu’une patrie” introduit par un boléro folklorique avec castagnettes. L’orchestrateur Offenbach y transforme l’orchestre en petit ensemble espagnol : les instruments à cordes, après avoir imité les castagnettes du rebond de leur archet, forment une guitare collective de plus de 60 cordes.

Les jeux de masques

Si le déguisement est un bon ressort dramatique, il constitue aussi un excellent moteur musical. En homme de théâtre, le compositeur joue des faux-semblants et des métamorphoses.

Dans les couplets de Fiorella “Au chapeau je porte une aigrette”, le refrain est doublé aux trompettes, ce qui donne une couleur militaire inattendue pour un brigand, que l’on peut relier aux détonations de son arme à feu. L’harmonisation, par la trompette 2, féminise cependant le caractère martial.

Par ailleurs, le personnage de Fragoletto5 est un rôle travesti. Cette licence théâtrale permet à Offenbach de faire entendre des duos de femmes, avec Fiorella. La voix de mezzo-soprano donne une tendre jeunesse à l’homme qui se retrouve à chanter parfois plus haut que la femme. L’alternance des deux timbres au soprano dans le duetto  “Hé ! la ! hé ! la !” est un bel exemple de l’apport du rôle travesti à la musique.

L’une des métamorphoses les plus réussies de Jacques Offenbach est la mue de la marche militaire en galop. Le rythme binaire de dactyle (une longue, deux brèves) contenu dans la marche est le même que celui du galop, mais à un tempo plus lent. Par une simple accélération, la plus rigoureuse des marches se transforme en la plus débridée des danses. Une fois cette bascule apparue, la moindre musique militaire crée chez l’auditeur la sensation d’une électricité sous-jacente, et l’attente d’un galop survolté.

La technique du finale d’acte

Depuis le XVIIIe siècle, et notamment avec Les noces de Figaro de Mozart, les finales d’acte sont composés de plusieurs panneaux contrastants. Le compositeur travaille le caractère de chacun d’entre eux en jouant sur la métrique, le tempo, la tonalité ou encore la texture instrumentale. Dans la plupart des cas, chaque nouvelle partie opère un gain d’énergie.

Afin de faire avancer l’action, ces panneaux sont parfois reliés par des parties à l’instrumentation allégée, favorisant la clarté de l’énonciation.

A cet égard, le finale du premier acte est archétypique. Après une cérémonie en grande pompe, on passe de mélodies sémillantes en danses bondissantes entrecoupées de géniales abruptions6 militaires qui font tomber brutalement l’excitation et permettent la double exposition d’une orgie.

Voici les danses dans leur ordre d’apparition :

Saltarelle:

Première exposition de l’orgie, Valse:

Première exposition de l’orgie, Gigue:

La première fois, la valse débouche sur une gigue galvanisante. A la reprise, la substitution d’une polka à la gigue produit une excitation encore supérieure:

L’interruption militaire expose le thème “J’entends un bruit de bottes” qui prendra un rôle important dans la suite de la partition, chanté soit au tempo de marche, soit à celui de polka:

Le deuxième finale mélange lui aussi valse, polka, gigue et marche militaire en reprenant celle des carabiniers pour un comique de répétition.

Quant au troisième, chargé de clore l’œuvre, il forme une grande récapitulation. On y entend successivement le fandango de Gloria-Cassis, les couplets de Fiorella et les bottes des carabiniers.

Produits dérivés

Une nouvelle orchestration pour le Théâtre de la Gaîté est proposée le 25 décembre 1878. On compte cette fois-ci pas moins de 52 musiciens en fosse, et un ballet des Espagnols sur scène.

La musique des Brigands connaît un succès au bal avec deux quadrilles composés sur les thèmes principaux, l’un d’Isaac Strauss et l’autre de Jean-Baptiste Arban. On peut y danser le pantalon sur les couplets des jeunes filles “Déjà depuis une grande heure” ou bien sur l’allegro marziale du finale du deuxième acte “Tous sans trompette ni tambour”.

 
1 Nous emploierons « opérette » et « opéra-bouffe » comme des synonymes. Pour en savoir plus sur la différence entre ces deux termesRetour vers la suite du texte
2 Le choix de faire une vocalise sur le u de vertu (chantée par Falsacappa lors de sa première entrée), voyelle impropre aux vocalises mais permettant de faire la bouche en cœur, tient de la facétie. La vertu est ainsi rendue bien sinueuse ! – Retour vers la suite du texte
3 Lors des guerres napoléoniennes, le brigand italien épris de liberté est devenu une figure romantique inspirant les arts et les lettres – Retour vers la suite du texte
4 La tension napolitaine est une altération descendante du second degré qui se résout au demi-ton inférieur, souvent employé dans un renversement de sixte – Retour vers la suite du texte
5 Il est très probable que ce nom fasse écho au roman de Henri de Latouche « Fragoletta, Naples et Paris en 1799 » qui met en scène un hermaphrodite qui se présente tantôt sous les traits d’une certaine Camille, tantôt sous ceux de son frère Adriani – Retour vers la suite du texte
6 Procédé visant à animer le style en supprimant les transitions d’usage – Retour vers la suite du texte

Sources

  • Un mariage de raison entre l’opérette-bouffe et le style de l’opéra-comique. Le Figaro, lundi 13 décembre 1869
  • Giulio Tatasciore, crimes pittoresques. La construction culturelle du brigand italien dans la première moitié du XIXe siècle, Presses Universitaires de France, 2022

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Faust, l’opéra phare de Gounod

L’opéra Faust de Charles Gounod, composé entre 1839 et 1859 sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré, s’inspire grandement du mythe allemand de Faust, notamment de la tragédie écrite par Goethe en 1808. Il se focalise toutefois davantage sur l’histoire d’amour entre le Docteur Faust et Marguerite que sur les questionnements philosophiques et moraux. Il s’agit d’une histoire de tentation et de rédemption, de passion et de désillusion où les âmes tourmentées sont mises en abîme par la partition novatrice de Gounod. Alternant des passages empreints de tendresse et de lyrisme avec des scènes d’horreur et de tension, l’oeuvre demeure un succès à l’heure actuelle et fait partie des opéras français les plus représentés à travers le globe.

Résumé de l’œuvre

Au premier acte, l’action se déroule dans le cabinet du vieux Docteur Faust qui se lamente sur son sort et sur son impuissance, prêt à mettre un terme à sa vie par le poison. Il s’est détourné de la science par désespoir et par solitude, et ne croit plus en rien. C’est alors qu’il invoque Satan (apparaissant sous les traits de Méphistophélès) qui intervient en proposant à Faust de lui accorder son voeu le plus cher en échange de ses services dans l’au-delà : retrouver la jeunesse pour séduire la jeune Marguerite, Méphistophélès ayant montré un portrait de la jeune fille au rouet au vieux docteur. N’y tenant plus, Faust implore Méphistophélès de le faire rajeunir : Méphistophélès donne une potion magique à Faust après avoir signé le pacte qui relie les deux hommes.

Dans le second acte, nous sommes en pleine kermesse. Marguerite assiste au départ à la guerre de son frère Valentin, lequel s’attriste de devoir laisser sa soeur sans protection. Elle lui donne un médaillon pour le protéger du danger, il la confie à ses amis Wagner et Siebel qui jurent de la protéger, ce qui rassure Valentin. Méphistophélès déclame la Ronde du Veau d’or, véritable éloge du pouvoir suprême de l’argent qui 6 corrompt les moeurs et les âmes. Suite à ce moment d’horreur collectif, Wagner et Siebel sont victimes de mauvais présages laissant croire à un malheur prochain : le premier lit la mort de Valentin sur les lignes de sa main, le second fait faner toutes les fleurs qu’il touche. Lorsque Méphistophélès parle de Marguerite, Valentin tente de l’attaquer à l’épée : le fer se brise, au grand étonnement de toutes les personnes présentes (donnant lieu à un choeur mémorable). Entouré et aidé par ses amis, Valentin et les autres forment une croix en brandissant leurs épées, repoussant Méphistophélès. Faust aborde Marguerite en lui offrant son bras qu’elle refuse à la fin de l’acte.

Le troisième acte contient des scènes décisives pour le destin de Faust et de Marguerite. Il débute dans le jardin de Marguerite, où la jeune fille doit choisir entre un bouquet de fleurs déposé par Siebel et un coffret rempli de bijoux de Méphistophélès au nom de Faust. Ce dernier exprime son impatience dans l’air « Salut, demeure chaste et pure », observant Marguerite au loin. Marguerite apparaît plongée dans ses souvenirs (elle repense à sa mère et sa soeur décédées), et après avoir pris le bouquet, elle se saisit du coffret et se pare des bijoux : c’est le fameux Air des bijoux. Elle les montre à sa voisine Marthe et souhaiterait revoir
le jeune homme qui l’a abordée à la kermesse, maintenant qu’elle ressemble à une belle princesse. Méphistophélès détourne l’attention de la voisine en la courtisant et permet aux deux amoureux d’avoir un moment ensemble (duo « Il était temps ! Ô nuit d’amour… »).

Au quatrième acte, nous retrouvons Marguerite enceinte, seule, abandonnée par Faust dont elle attend désespérément le retour. Siebel lui promet son soutien et souhaite la venger, mais elle le remercie et s’en va pour prier à l’église. Méphistophélès lui parle et elle s’évanouit pendant le service. La guerre est terminée et Valentin apprend ce qui est arrivé à Marguerite. Il souhaite venger sa soeur et provoquer Faust en duel, qui s’était également rendu chez Marguerite pour
la revoir, accompagné d’un Méphistophélès plus ironique que jamais (« Vous qui faites l’endormie »). Valentin, qui avait ôté le médaillon donné par sa soeur, est victime d’un mauvais tour de Méphistophélès, et meurt pendant le duel en maudissant sa soeur. Dans le cinquième acte, Méphistophélès entraîne Faust
dans son royaume et tente de le distraire par tous les excès de chair et de gourmandise possibles (la nuit de Walpurgis, dont sont extraites les scènes de ballet aux nombreuses valses comme celle des Nubiennes). Faust ne songe qu’à retrouver Marguerite qui, ayant sombré dans la folie, a tué son enfant et a été emprisonnée. Si Faust propose à Marguerite de s’enfuir ensemble, celle-ci refuse en se mettant à prier et trouve sa rédemption dans la mort pour avoir résisté face à Méphistophélès. Elle est accompagnée d’un choeur d’anges : Faust se repent et prie également. Méphistophélès est vaincu.

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L’histoire des Sept paroles du Christ en Croix de César Franck

Avec le Panis Angelicus, l’oratorio Les Sept paroles du Christ en Croix est sans doute l’œuvre sacrée de César Franck la plus jouée de nos jours. Le succès contemporain de cette œuvre en ferait presque oublier qu’elle ne fut sans doute jamais jouée du vivant de son compositeur. Écrite en 1859, la partition autographe est redécouverte près d’un siècle plus tard, mais sans titre apparent. L’intitulé des Sept paroles est donc apocryphe, mais vraisemblable, Franck ayant pris soin de titrer le premier morceau “Prologue”, puis de mentionner le numéro de chacune des paroles pour les sept morceaux suivants. La création mondiale des Sept Paroles a eu lieu en 1977 en Allemagne, sous la direction d’Armin Landgraf, qui a contribué à la redécouverte de la musique sacrée de Franck.

Les années de Franck au service de l’Eglise

Le développement du registre sacré

L’année de la composition des Sept paroles du Christ en croix correspond au milieu de la vie de Franck (1822-1890). A cette période, il est nommé successivement organiste titulaire dans plusieurs églises parisiennes : Notre-Dame de Lorette, Saint-Jean-Saint-François du Marais, puis Sainte-Clotilde, qu’il ne quittera pas jusqu’à sa mort.

Ce poste est propice à l’enrichissement de son répertoire sacré, jusqu’alors très peu exploré. Notons tout de même son oratorio Ruth, écrit en 1846, sous la pression de son père.

César Franck à l’orgue de l’église Sainte-Clotilde, 1885
Photo de Jeanne Rongier (1852-1934)

Le choix des Sept paroles : La Passion de César Franck ?

En 1859, Franck n’est en fait pas encore organiste titulaire de Sainte-Clotilde, mais maître de chapelle. A ce titre, il est chargé de composer plusieurs cantiques pour le chœur de cette paroisse dont il assure également la direction.

Les Sept paroles font donc partie d’un ensemble de pièces composées pour les offices de Sainte-Clotilde, très vraisemblablement ceux de la Semaine sainte. Il s’agit d’une période importante de la foi catholique, au terme du Carême et précédant la fête de Pâques, où la Passion du Christ est commémorée.

Mais pourquoi s’être efforcé à écrire un oratorio, et non une pièce plus simple et plus courte, pour le sujet de la Crucifixion ? Le XIXe siècle est une période d’expansion progressive pour le catholicisme français, après les séquelles de la Révolution. Les sujets de dévotion se multiplient, comme le culte marial qui se répand à la faveur des apparitions de la Vierge. La figure humaine et divine du Christ est également propice à la vénération des fidèles : les adorations eucharistiques et les chemins de croix sont introduits dans les paroisses, de nouveaux édifices sont dédiés au Sacré-Cœur de Jésus, et le “dolorisme” connaît un renouveau dans la piété populaire et dans les arts. Le courant doloriste de cette époque invite les croyants à faire mémoire des souffrances vécues par le Christ lors de sa Passion, dans la perspective de la rédemption de l’Humanité et du rachat de ses péchés.

Franck, chrétien fervent et musicien d’église, ne peut rester étranger à ces influences religieuses. Mais pourquoi ne pas alors proposer une mise en musique du récit de la Passion ?

Rappelons qu’à l’époque, les règles liturgiques du catholicisme français imposent que ce récit puisse seulement être interprété selon le plain-chant (a cappella et sans polyphonie). Ce n’était pas le cas de la liturgie protestante, ce qui permit à Bach de produire ses plus fameux oratorios (La Passion selon Saint Jean, 1723 et La Passion selon Saint Matthieu, 1729) pour l’église luthérienne de Leipzig. Mais en choisissant le texte des Sept paroles, Franck contourne ces règles et “écrit sa Passion”, pour ainsi dire, comme le souligne son biographe Joël-Marie Fauquet [cité infra]. La 6ème parole (“Tout est accompli”) composée par Franck contient d’ailleurs un passage authentifié comme une variation du choral Jesu Leiden, Pein und Tod, employé par Bach dans La Passion selon Saint Jean, lorsque le chœur accompagne la basse chantant cette même parole (“Es ist vollbracht”).

Début du choral « Jesu, Leiden, Pein und Tod », Hymne de Paul Stockmann, repris par Bach dans La Passion selon Saint Jean, 1723

Extraits de la 6e Parole “Consumatum est” – piano-chant des Sept paroles du Christ en Croix, de César Franck

Mettre en musique les Sept paroles

Un sujet rarement mis en musique à l’époque de César Franck

La mise en musique des Sept paroles est encore très rare au XIXe siècle, et plus encore en France. ll faut dire que la structure de ce texte est relativement récente par rapport à d’autres extraits bibliques mis en musique.

En effet, si les paroles prononcées par le Christ lors de sa crucifixion sont bien toutes tirées de la Bible, elles ne sont pas contenues dans un seul récit de la Passion, mais issues des quatre évangiles.

C’est à partir du VIe siècle que ces paroles ont été rassemblées dans un certain ordre, notamment dans L’Harmonie évangélique traduite par l’évêque Victor de Capoue.

Mais il faut attendre le XIIIe siècle pour que les Sept paroles deviennent un texte de dévotion à proprement parler, sous l’influence de  Saint Bonaventure et de son opuscule La Vigne mystique, daté de 1263. Le fait que ces paroles, une fois rassemblées, soient au nombre de sept a également une portée spirituelle. En effet, abondamment repris dans la Bible, le chiffre sept symbolise dans la tradition judéo-chrétienne la complétude, le parachèvement et la perfection. La méditation de ce texte permet aussi au croyant d’affermir sa foi autour de ces sept paroles christiques en opposition aux sept péchés capitaux.

Les Sieben Worte Jesu Christi am Kreuz, de Schütz, écrites en 1646, constituent sans doute la première mise en musique des Sept paroles. En 1787, Haydn propose également une autre version en allemand, sans doute la plus célèbre de nos jours, sous le titre Les Sept dernières paroles de Notre Sauveur sur la Croix. En France, Charles Gounod est le premier à en effectuer une mise en musique (Les Sept Paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ sur la Croix, 1855), en retenant la version latine du texte.

Franck reprend le texte en latin de ces sept paroles, tout en ajoutant d’autres versets issus de l’Ancien et du Nouveau testament ainsi que de la prière Stabat Mater.

Une pièce destinée à la liturgie, finalement jouée en concert

Les exigences de la musique d’église et l’influence de Palestrina

La composition des Sept paroles s’inscrit dans une période animée par une vive controverse  concernant la manière d’exprimer le sentiment religieux en musique. Le XIXe siècle est marqué par les innovations instrumentales, les nouvelles techniques de composition, l’essor de l’opéra et le développement de l’orchestration. Des compositeurs comme Berlioz peuvent alors employer une multitude d’effets pour donner les accents dramatiques nécessaires au sujet de leur œuvre.

Franck, Gounod, et Saint-Saëns sont aussi gagnés par ces influences, y compris dans leur musique sacrée, malgré les réticences de plusieurs critiques musicaux et membres du clergé. Ce dernier, redoutant que les offices ne se transforment en spectacle, marque sa préférence pour une musique épurée et neutre, dans le but de préserver la solennité de la liturgie. C’est ainsi que l’orchestration doit se limiter à quelques instruments – l’orgue bien sûr, mais aussi les instruments associés aux anges comme la harpe et les trompettes. De même, le tempo doit être mesuré. Pour seule source d’inspiration, les musiciens d’église sont invités à retourner aux canons de la Renaissance, et plus spécifiquement à la musique de Palestrina, jugée la plus à même de favoriser le recueillement. Cette musique se caractérise en effet par la reprise de lignes mélodiques grégoriennes, par l’alliance du plain-chant avec la polyphonie, et par une relative sobriété dans le rythme et dans la variation des nuances.

A première vue, les Sept paroles semblent bien respecter les exigences d’une écriture simple, mêlée  des influences néo-palestriniennes. Le tempo est globalement lent, l’écriture homorythmique quasi-omniprésente favorise la compréhension du texte, et le style relativement impersonnel de la partition fait même s’interroger le biographe de Franck : s’il “n’avait pas signé son manuscrit, pourrait-on assurer que cet oratorio est de lui ?” [Joël-Marie Fauquet, cité infra].

Cependant, Franck s’affranchit de ces règles de composition dans une bonne partie de son manuscrit, comme le fait aussi Saint-Saëns quelques années plus tard dans son Requiem.

Une tentative de dramatisation de la crucifixion et de la rédemption ?

Franck laisse en effet dans ses Sept paroles plusieurs marqueurs de personnalisation dans la mise en musique du sentiment religieux : une instrumentation inhabituellement soignée, un travail complexe dans la répartition des textes chantés par les différents solistes et le chœur, l’insertion de passages forte et rapides et l’emploi de modes expressifs. Autant d’effets qui font prendre à cette pièce une tournure dramatique, et qui la distinguent parmi ses autres pièces sacrées.

Le début de la première Parole (“Père, pardonne-leur”) est ainsi chanté piano et a cappella par un chœur qui porte la voix d’un Christ agonisant et implorant le pardon pour ses persécuteurs. L’ambiance de recueillement ainsi instaurée est soudainement interrompue par un enchaînement répété et vif du verset “Cum sceleratis reputates est”, chanté fortissimo, avec tout l’orchestre en accompagnement. Ceci sans doute pour figurer le sentiment d’injustice et de révolte que peut provoquer la contemplation de Jésus en croix, mis à mort comme un malfaiteur. L’autre mouvement rapide de l’œuvre se trouve au milieu de la cinquième Parole, où le chœur incarne les soldats romains insensibles aux souffrances du Christ, lui criant dans un unisson presque constant, “Si tu es le Roi des juifs, sauve-toi toi-même”.

On pourrait croire que le choix d’avoir confié les paroles du Christ tour à tour à différents interprètes est une façon d’esquiver la théâtralisation (celle-ci est notable dans les Passions de Bach, où le soliste basse incarne le Christ du début jusqu’à la fin de l’oratorio).

Et pourtant… on peut paradoxalement  y voir un nouvel  effet dramatique, avec ce jeu de contraste entre les paroles chantées par la basse et celles énoncées par le ténor. Dans la cinquième parole (« J’ai soif ! »), la basse incarne ainsi un Christ souffrant, qui exprime son désarroi par un cri long et sonore (« Sitio ! »), dans un mode mineur, précédé d’un solo de violoncelle aux accents tragiques et éplorés ; et à l’inverse, Franck confie au ténor la toute dernière parole, « Père, en tes mains je remets mon esprit », sur un mode majeur et dans un registre aigu allant jusqu’au contre-ut, peignant ainsi une ambiance apaisée, lumineuse et pleine d’espérance. Le chœur reprend cette parole pour terminer dans un piano morendo, figurant tout à la fois le passage de la mort… et l’entrée au Ciel.

Tous ces éléments de composition permettent, après avoir rappelé les souffrances de la Passion, d’ouvrir une fenêtre sur l’Espérance chrétienne dans la Résurrection et dans la rédemption de l’Humanité.

Un autre paradoxe doit être souligné : prévue pour la liturgie, cette pièce n’a sans doute jamais été jouée dans cette visée, alors qu’elle l’est régulièrement à l’occasion de concerts. Cela tend à démontrer que Les Sept paroles tiennent une place toute particulière dans la musique sacrée de Franck, si ce n’est dans toute son œuvre.

Ce succès contemporain amène à se demander pourquoi Les Sept paroles ne furent jamais exécutées lors du vivant de Franck.

On pourrait avancer un début d’explication en considérant la particularité de cette œuvre difficilement classable, dont la composition est marquée par une double influence. Peut-être était-elle à la fois trop sophistiquée et considérée comme trop théâtrale pour être jouée lors des offices, et en même temps, trop imprégnées du style religieux de l’époque pour être jouée ailleurs que dans une église ?

Le texte et sa traduction

Prologue
O vos omnes qui transitis per viam,
attendite et videte si est dolor sicut dolor meus.
Posuit me, domine, desolatam tota die maerore confectam.
Ne vocatis me Noemi, sed vocate me Mara.
Ô vous tous qui passez sur  le chemin,
regardez et voyez s’il est une douleur pareille à ma douleur.
Le Seigneur m’a rendue désolée, dévorée d’amertume tout le jour. (Lamentations Jérémie, 1, 12-13)
Ne m’appelez pas (la gracieuse), mais appelez-moi Mara (l’amère). (Ruth, 1, 20)
1ère Parole
“Pater, dimitte illis : non enim sciunt quid faciunt.”

Crucifixerunt Jesum et latrones, unum a dextris et alterum a sinistris.
Jesum autem dicebat :
Pater, dimitte illis, non enim sciunt quid faciunt.
Cum sceleratis reputatus est, et ipse peccata multorum tulit, et pro transgressoribus rogavit.

« Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Luc, 23,34)
Ils crucifièrent Jésus ainsi que les larrons, l’un à droite, l’autre à gauche.
Jésus, lui, disait … (Luc, 23, 33)
Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font.
Il a été compté parmi les scélérats, alors qu’il supportait les fautes des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs. (Isaïe 53, 12)
2ème Parole
“Amen, dico tibi : hodie mecum eris in paradiso.”

“Domine, memento mei, cum veneris in regnum tuum.”

« En vérité, je te le dis, dès aujourd’hui, tu seras avec moi au paradis. » (Luc, 23, 43)
« Seigneur, souviens-toi de moi quand tu seras dans ton royaume. » (Luc, 23, 42)
3ème Parole
“Mulier, ecce filius tuus.”
O quam tristis et afflicta
fuit illa benedicta, mater unigeniti !
Quis est homo qui non fleret, Christi matrem si videret in tanto supplicio ?
Quis posset non contristari piam matrem contemplari dolentem cum filio ?
« Femme, voici ton fils. » (Jean, 19, 26)
Oh ! qu’elle était triste et affligée,
cette mère bénie d’un fils unique !
Quel est l’homme qui ne pleurerait, s’il voyait la mère du Christ endurant un tel supplice ?
Qui pourrait ne pas être contristé en contemplant cette douce Mère souffrant avec son fils ? (extrait du Stabat Mater)
4ème Parole
“Deus meus, ut quid dereliquisti me ?”

Noti mei quasi alieni recesserunt a me, et qui me noverant obliti sunt mei.

« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Marc, 15,34)
Mes proches se sont éloignés de moi comme des étrangers, ceux qui me connaissaient m’ont oublié. (Job, 19, 14)
5ème Parole
“Sitio !”
Dederunt ei vinum bibere cum felle mixtum.
Et milites acetum offerentes ei, blasphemabant dicentes :“Si tu es Rex Judaeorum, salvum te fac.”Popule meus, quid feci tibi ? Aut in quo contristavi te ? Responde mihi !
Quia eduxi te de terra Aegypti, parasti crucem Salvatori tuo
“J’ai soif ! » (Jean, 19,28)
Ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel.
Les soldats en lui présentant le vinaigre, se gaussaient de lui, disant :
« Si tu es le Roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! » (Matthieu, 27, 34 ; Luc, 23, 36-37)
Ô mon peuple, que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je contristé ? Réponds-moi !
Je t’ai conduit hors d’Égypte, et pour cela, tu prépares la croix à ton Sauveur ! (extrait des Impropères)
6ème Parole
“Consummatum est.”
Peccata nostra ipse tulit in corpore suo super lignum, ut peccatis mortui, justiciae vivamus.Vere, languores nostros ipse tulit,
et livore ejus sanati sumus.
« Tout est accompli ! » (Jean, 19, 30)
C’étaient nos péchés qu’il portait, dans son corps sur le bois, afin que, morts à nos fautes, nous vivions pour la justice. (Pierre, 2, 24)
En vérité, c’était nos souffrances qu’il supportait,
et c’est grâce à ses plaies que nous sommes guéris. (Isaïe, 53, 4-5)
7ème Parole
“Pater, in manus tuas commendo spiritum meum.”

Pater meus es tu, Deus meus, susceptor salutis meae

« Père, je remets mon esprit entre tes mains. » (Luc, 23, 46)
Tu es mon père, mon Dieu et le rocher de mon salut. (Psaume, 89, 27)

 

 

Sources

 

La messe des Anges Gardiens de Gounod

La messe des Anges Gardiens (aussi connue sous son nom latin Missa angeli custodes) a été composée en 1871 par Charles Gounod lors de son séjour en Angleterre. Le compositeur y développe une musique d’une savante simplicité.

Gounod en Angleterre

En septembre 1870, Charles Gounod se réfugie à Londres avec sa famille pour fuir la guerre contre la Prusse. Il sera profondément touché par cet affrontement : sa propre maison sera détruite lors de l’incendie de Saint-Cloud par l’armée prussienne1.

Dans une lettre datant du 8 novembre 1870, il confie à son ami Dubuffet sa défiance envers le progrès qui est, selon lui, responsable de la guerre. Il y ajoute toutefois quelques mots exprimant son espérance :

Si tant de malheurs ont pu nous instruire et nous ramener à la simplicité du vrai, et au vrai de la simplicité, tout ne sera pas perdu, et quelque chose de précieux et de salutaire y aura été gagné, car tout se tient ici-bas, les conséquences du faux comme celles de la vérité.

Dans cet état d’esprit, Gounod cherche à simplifier son langage musical, à contre-courant des mouvements musicaux de l’époque (Debussy, Wagner, ou le post Romantisme).

L’hospitalité des Weldon

Gounod fait la connaissance de la soprano Georgina Weldon en février 1871. La guerre étant terminée – l’armistice a été signé le 29 janvier – il lui propose de l’accompagner en France et de tenir la partie soliste pour la création française de Gallia2.

Suite à ces concerts, les Gounod sont invités à s’installer à Tavistock-House chez les Weldon. Reconnaissant, le compositeur appelle ces derniers « [ses] anges gardiens » ; ainsi Mrs. Weldon, qui s’est attachée à la réussite de Gounod et a pris en main ses affaires, peut voir dans le titre de la messe une dédicace directe à son endroit. Cela n’est cependant pas attesté : l’œuvre est déjà dédiée à l’archevêque de Westminster, Mgr Manning. Par ailleurs, Gounod l’a peut-être simplement composée pour la fête des Saints anges gardiens, célébrée le 2 octobre.

Charles Gounod gardera un souvenir mitigé de son exil londonien. La presse française voit d’un mauvais œil son exil volontaire outre-Manche, et la mainmise de Mrs. Weldon sur ses affaires, peut-être bienvenue au départ, lui pèse de plus en plus.

Ainsi, à son retour à Paris, Gounod souhaite récupérer le manuscrit de Polyeucte, qu’il a laissé à Tavistock-House ; mais Georgina Weldon refuse de le lui envoyer, car elle souhaite continuer d’être son impresario. L’affaire se termine au tribunal, et la justice anglaise donne tort à Gounod.

L’influence romaine

A l’instar de nombreux compositeurs romantiques, Gounod est fasciné par la musique donnée à la Chapelle Sixtine, et notamment par celle de Palestrina. Il a eu l’occasion de l’entendre lors de son séjour à Rome, alors qu’il n’avait que 22 ans. Cette expérience quasi mystique a profondément marqué sa personnalité.

J’allais donc le plus possible à la chapelle Sixtine. Cette musique sévère, ascétique, horizontale et calme comme la ligne de l’Océan, monotone à force de sérénité, antisensuelle, et néanmoins d’une intensité de contemplation qui va parfois à l’extase, me produisit d’abord un effet étrange, presque désagréable. Était-ce le style même de ces compositions, entièrement nouveau pour moi, était-ce la sonorité particulière de ces voix spéciales que mon oreille entendait pour la première fois, ou bien cette attaque ferme jusqu’à la rudesse, ce martèlement si saillant qui donne un tel relief à l’exécution en soulignant les diverses entrées des voix dans ces combinaisons d’une trame si pleine et si serrée, je ne saurais le dire. Toujours est-il que cette impression, pour bizarre qu’elle fût, ne me rebuta point. J’y revins encore, puis encore, et je finis par ne pouvoir plus m’en passer3.

La messe proprement dite

La missa angelis custodes, composée en 1873 dans le style religieux le plus pur, est une messe brève4 pour chœur mixte, solistes et accompagnement d’orgue. Les voix y sont traitées et limitées selon l’échelle naturelle des registres, et la partie d’orgue accompagne doucement les voix.

Charles Gounod porte un regard circonspect sur la complexification de la syntaxe musicale, ainsi que sur les compositeurs qui y voient un signe de progrès. Pour lui, le progrès véritable se situe dans la reconnaissance du « vrai de la simplicité ».

Ainsi, Gounod utilise-t-il pour sa messe une harmonie simple et inspirée de Mozart, avec çà et là des colorations romantiques5. De grands passages sont en homorythmie (tous les pupitres chantent les mêmes paroles sur le même rythme) pour faciliter la compréhension du texte.

La messe est créée le 3 mai 1873 par le Gounod’s Choir. Par la suite, le compositeur proposera une orchestration qui sera donnée le 21 février 1874, avec le même chœur, à Saint James’s Hall. Il faudra attendre mars 1875 pour la création française à Notre-Dame de Paris, sans doute dans une orchestration nouvelle pour cordes seules.

Les partitions d’orchestre de ces deux versions ont aujourd’hui disparu.

Postérité

De nos jours, l’œuvre est peu donnée : si l’on trouve certains enregistrements sur la toile, ils sont partiels, et émanent de chœurs amateurs ; un enregistrement in extenso demeure absent des plateformes de lecture en continu, et il est impossible d’en trouver une version CD.

Le mouvement O Salutaris est quelquefois isolé pour être chanté lors de l’Offertoire ou pendant le salut du Saint-Sacrement.

1 Cet incendie fait suite à la bataille de Buzenval le 19 janvier 1871 – Retour vers la suite du texte

2 Cette pièce décrit la désolation de Jérusalem et l’impiété de ses habitants lors de son massacre par Nabuchodonosor, faisant écho au siège de Paris. Elle a rencontré un beau succès le 1er mai 1871 au Royal Albert Hall. – Retour vers la suite du texte

3 Extrait de Charles Gounod, Mémoires d’un artisteRetour vers la suite du texte

4 Une messe brève est une pièce qui reprend l’Ordinaire de la messe, mais de façon abrégée. – Retour vers la suite du texte

5 Gounod parsème sa partition de dominantes secondaires, faisant écho à la poésie de Schumann. – Retour vers la suite du texte

 

Sources

  • Georgina Weldon, Mon orphelinat et Gounod en Angleterre, 1875
  • Charles Gounod, Mémoires d’un artiste, Calmann Lévy, 1896
  • Richard Boursy, The Mystique of the Sistine Chapel Choir in the Romantic Era, University of California Press, 1993
  • Steven Huebner, Gounod, Grove, 2001
  • Gérard Condé, Charles Gounod, biographie et catalogue complet, Fayard, 2009.

 

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La Sorcière de Midi d’Antonín Dvořák

Le poème symphonique est une pièce orchestrale, généralement en un seul mouvement, qui tire son unité psychologique et musicale d’une source littéraire, picturale ou de tout autre support susceptible de stimuler l’imagination. C’est un genre tout à fait idiomatique de l’art romantique du XIXe siècle, qui a été mis en valeur par nombre de compositeurs dont Richard Strauss, Franz Liszt, Claude Debussy, Serguei Rachmaninov, Bedřich Smetana et Dvořák.

Compositeur tchèque célèbre pour sa Symphonie du Nouveau monde, Antonin Dvořák (1841-1904) fut l’un des porte-étendards de l’unité tchèque à l’image de son prédécesseur Bedřich Smetana (1824-1884). Soucieux d’honorer sa terre natale, Dvořák composa tout au long de sa carrière des œuvres inspirées par des danses issues du folklore de Bohème et de Moravie, comme le trio Dumky ou les Danses slaves qui connurent un succès retentissant dans toute l’Europe.

Après un séjour de trois ans aux Etats-Unis, il compose en 1896 quatre poèmes symphoniques inspirés par des ballades de son compatriote, le poète Karol Jaromir Erben (1811-1870), où se ressent la joie de son retour en Moravie. Les trois premiers (l’Ondin, la Sorcière de Midi et le Rouet d’Or), entrepris dès janvier, sont rapidement achevés en avril et le quatrième, la Colombe Sauvage, à l’automne. Ces contes en vers peuplés de créatures fantastiques, de royaumes enchantés et de sortilèges, sont issus des légendes populaires transmises par la tradition orale.

Les quatre poèmes symphoniques de Dvořák frappent par l’étonnante vigueur de l’inspiration et par la maîtrise fabuleuse de l’orchestration acquise le long d’une carrière déjà riche de neuf symphonies, trois concertos, de plusieurs ouvertures et d’innombrables danses, scherzos, rhapsodies… Contrairement à ses symphonies où l’on retrouve l’empreinte de Brahms, ils sont marqués par l’influence de Richard Wagner : utilisation de leitmotiv (thèmes musicaux explicitement liés à un personnage du drame), emploi de transitions abruptes et inattendues et mise en valeur particulière des cuivres.

L’histoire

La scène s’ouvre sur une atmosphère bucolique et paisible, vite perturbée par les pleurs de l’enfant imités par quatre petites notes agaçantes lancées dans l’aigu du hautbois. La mère se fâche une première fois et menace l’enfant d’appeler Polednice, la terrifiante sorcière de midi, icône féminine du père Fouettard, que les mères invoquent pour faire cesser les pleurs des enfants trop turbulents. Le calme revient avec la reprise du début de la pièce.

Hélas, la colère l’emporte. Après une transition saisissante, ou l’atmosphère s’assombrit brusquement, surgit la terrible Polednice. L’usage des graves de la clarinette, du basson et de la clarinette basse permet de suggérer les menaces de la vieille femme hideuse ainsi que l’angoisse de la mère et de son enfant.

Le combat de la sorcière et de la mère épouvantée qui protège son enfant se traduit par une sorte de danse grotesque dans un bref mouvement de scherzo reprenant habilement le thème du début et celui de la sorcière. Aux douze coups de midi, sonnés par la cloche, la sorcière disparaît sans avoir pu emporter l’enfant que la mère retient de toutes ses forces.

Après le départ de la sorcière, Dvořák répand peu à peu dans l’orchestre une éblouissante lumière laissant à chacun le soin d’espérer que jamais plus une mère ne sera excédée par les cris de son enfant et que plus jamais les enfants ne feront de terribles colères…

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Les 4 Motets sur des thèmes grégoriens de Duruflé

4 Motets sur des thèmes grégoriens op.10 (1960) – Ubi Caritas

Organiste virtuose, très célèbre aux Etats-Unis où il fit de nombreuses tournées, Maurice Duruflé (1902-1986) est surtout connu pour son Requiem joué dans le monde entier. Après avoir chanté à la maîtrise de Rouen, il étudie l’orgue  auprès de Charles Tournemire, Eugène Gigout et Charles-Marie Widor ainsi que la composition dans la classe de Paul Dukas. Il devient suppléant de Louis Vierne à Notre Dame de Paris en 1927 et trois ans plus tard organiste titulaire de Saint Etienne du Mont.

A l’image d’Olivier Messiaen et Jehan Alain, ses œuvres et ses improvisations sont très marquées par l’héritage de Charles Tournemire qui remit l’orgue au service de la liturgie à travers le retour aux mélodies de type grégorien (plain-chant) que rehaussent des harmonies aux couleurs proches de celle de Debussy et de Fauré. Très exigeant envers lui-même à l’image de son professeur Paul Dukas, Duruflé n’écrit que treize œuvres considérées par la critique comme des chefs d’œuvres d’équilibre et d’expressivité. Son Requiem pour chœur soliste et orchestre, tout emprunt de la sérénité de celui de Gabriel Fauré, connaît un succès considérable non démenti encore aujourd’hui.

En 1960, alors que Karlheinz Stockhausen développe son concept de musique aléatoire, Duruflé écrit un recueil de quatre motets d’inspiration grégorienne dont Ubi Caritas. Dans la tradition liturgique, ce texte accompagne la célébration du lavement des pieds du Jeudi Saint. La mélodie grégorienne du plain-chant est confiée aux alti. Cette œuvre aux harmonies chatoyantes est empreinte d’une très grande sérénité où le compositeur laisse apparaître pleinement la Foi profonde qui l’anime.

Ubi caritas et amor, Deus ibi est.
Congregavit nos in unum Christi amor.
Exsultemus et in ipso jucundemur.
Timeamus et amemus Deum vivum.
Et ex corde diligamus nos sincero.
Ubi caritas et amor, Deus ibi est.
Amen.
Où sont amour et charité, Dieu est présent.
L’amour du Christ nous a rassemblés.
Exultons et réjouissons-nous.
Respectons et aimons le Dieu vivant.
Et aimons-nous d’un cœur sincère.
Où sont amour et charité, Dieu est présent.
Ainsi soit-il.

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The First Nowell de Ralph Vaughan Williams

The First Nowell (1958)

Composé l’année de sa mort, The First Nowell 1 est le fruit d’un amour inconditionnel de Vaughan Williams pour le temps de Noël et les Carols (chants de Noël). Cette fascination transparaît également au travers d’autres de ses compositions parmi lesquelles : Fantasia on Christmas Carols (1912), On Christmas Night (1926) et Hodie (A Christmas oratorio, 1954).

The First Nowell, mystère de la Nativité pour solistes, chœur et orchestre, est construit d’après le scénario de Simona Pakenham à partir de spectacles médiévaux narrant l’histoire de Noël, de l’Annonciation à l’Epiphanie.

Le texte fut remis à Vaughan Williams quatre semaines avant sa mort. Malgré le temps étonnamment court dont il disposa, le compositeur orchestra deux tiers de la musique et put choisir tous les Carols de l’œuvre. C’est Roy Douglas qui acheva la pièce pour la création au Drury Lane Theatre de Londres.

Il existe aujourd’hui deux versions de cette œuvre magnifique.

La version complète comprend vingt numéros, huit parties récitées, une soprano, un baryton solos et trois Bergers qui chantent et récitent à la fois. La version de concert, interprétée ce soir, pour soprano et baryton solos, chœur et orchestre se divise en 12 parties.

L’orchestration raffinée et le langage souvent modal de cette œuvre lui donne un caractère extrêmement paisible, poétique et mystérieux.

« La musique de Noël de Vaughan Williams est touchante par sa fraîcheur et sa chaleur. C’est une musique à jouer et à apprécier à la veille de Noël, chez soi, au coin du feu, entouré d’enfants, dans une sereine quiétude. »

Stephen Connock, président de la Ralph Vaughan Williams Society

 

1 Nowell vient du français Noël, il est aujourd’hui une forme littéraire et peu usitée de Christmas. On considère que le mot Noël, apparu en français vers 1112, est issu par évolution phonétique et modification vocalique du latin natalis (« relatif à la naissance »). [source : fr.wikipedia.org]

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