Qui est Gounod ?

Charles Gounod (1818-1893) est principalement connu pour son opéra Faust et pour un Ave Maria composé sur le prélude du Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach. S’il est vrai que l’éclat de ces succès fait aujourd’hui un peu d’ombre au restant de son œuvre, rappelons qu’en son temps, le compositeur comptait parmi les plus respectés et les plus prolifiques de sa génération. Il a laissé à la postérité pas moins de douze opéras et vingt-et-une messes.

 

Une enfance musicale

Les parents de Charles Gounod vivent tous les deux dans le milieu artistique parisien. Son père travaille comme peintre et graveur au service de la royauté, comme son père et son grand-père avant lui. Sa mère joue du piano et a un don pour les arts plastiques.

On ne tarde pas à s’apercevoir que l’enfant est doué également pour la musique et pour le dessin1. À la mort de son père, Gounod n’a que cinq ans. Mme Gounod, pour subvenir aux besoins de la famille, ouvre une classe de piano.

Sur les conseils de sa mère, le jeune musicien entreprend l’étude de l’harmonie et du contrepoint en suivant les cours particuliers d’Antoine Reicha2. Il développe en parallèle une belle voix de ténor et acquiert de l’habileté dans la maîtrise du clavier.

À la mort de Reicha, Gounod rejoint la classe de fugue et de contrepoint de Fromental Halévy, au conservatoire de Paris, et la classe de composition tenue successivement par Henri Berton, Le Sueur et Ferdinando Paër. Le compositeur qu’il admire le plus, à l’instar de Le Sueur, est Gluck, le compositeur d’opéra du XVIIIe siècle.

Académie de France à Rome

Gounod se présente au prix de Rome à dix-neuf ans, mais n’obtient que la seconde place. Ce n’est que deux ans plus tard, en 1839, qu’il remporte le Grand Prix, avec la cantate Fernand. En janvier 1840, il rejoint la Villa Médicis, en plein cœur de Rome, lieu de résidence des élèves de l’Académie de France3. Il y restera deux ans et fera la connaissance du peintre Dominique Ingres.

La ville aux sept collines constitue un cadre idéal pour les jeunes étudiants sensibles aux Beaux-Arts.

La Villa Médicis, lieu de résidence des élèves de l’Académie de France à Rome

Lors d’un concert à la Chapelle Sixtine, le compositeur est vivement ému par la musique de Palestrina (Nigra Sum sed formosa). Selon lui, une telle science du contrepoint ne peut trouver sa source que dans la foi pure.

“La musique palestrinienne semble être une traduction chantée du vaste poème de Michel-Ange, et j’inclinerais à croire que les deux maîtres s’éclairent, pour l’intelligence, d’une lumière mutuelle”

 

Charles Gounod a de la religion. Le père dominicain Lacordaire, alors retiré à Rome, exerce sur lui une telle influence que sa mère envisage pour lui la voie ecclésiastique.

À Rome, Charles Gounod découvre la poésie de Lamartine et approfondit sa lecture de l’incontournable Faust de Goethe. La pièce emblématique du Romantisme devient son livre de chevet.

C’est lors de son expérience romaine que Gounod jette les bases de son esthétique. Il se dit tiraillé entre des idéaux de beauté, de vérité et de chrétienté d’une part, et d’autre part la tentation de l’égoïsme et de l’artifice.

Comme la plupart des lauréats du Prix de Rome, Gounod passe sa troisième année en Autriche et en Allemagne. La visite de Vienne, ville de Mozart et Beethoven, lui procure une grande émotion. Il confesse à Ingres “je ne sais quelle impérieuse influence l’idée de Beethoven a toujours eu sur moi.” Son voyage germanique se poursuit jusqu’à Leipzig, où il rend visite à Mendelssohn. Le jeune compositeur joue pour lui l’Écossaise, dans une exécution privée de l’orchestre du Gewandhaus.

L’influence de Mendelssohn est sensible notamment dans le scherzo de sa Petite symphonie pour vents.

 

Le retour à Paris

En 1843, Charles Gounod revient à Paris, où il obtient par l’intermédiaire de sa mère le poste de maître de chapelle à l’église du Séminaire des Missions étrangères. Ce lieu constitue un laboratoire pour ses pièces chorales sacrées.

Pendant un temps, il souhaite devenir prêtre : il entrera au séminaire de Saint-Sulpice en 1847, pour finalement le quitter au bout d’un an. Cependant, il témoignera tout au long de sa vie d’une foi inquiète et renouvelée.

Dans les années 1850, il rejoint le cercle de la mezzo-soprano Pauline Viardot. Celle-ci obtient que l’on confie à Gounod l’écriture d’un premier opéra, Sapho. La pièce, créée dans la salle Le Peletier, ne rencontre pas un grand succès.

Le chemin vers la renommée

Invité par Pierre-Joseph Zimmermann4 a jouer pour l’un de ses salons, si caractéristiques du XIXe siècle, Gounod improvise une mélodie en surimpression du prélude du Clavier Bien Tempéré de Bach. Il est vraisemblable que Zimmermann ait eu l’idée de faire le relevé de cette mélodie et, en 1859, d’y ajouter les paroles latines de la prière à Marie – ce sera le fameux Ave Maria de Gounod.

Gounod épouse Anna Zimmermann en 1852, et obtient la direction de l’Orphéon de Paris. Ce réseau de sociétés chorales, dont les membres sont issus des classes laborieuses et de la petite bourgeoisie, constitue un instrument de la politique égalitaire du second Empire.

Gounod occupe le poste pendant huit ans et compose pour l’Orphéon plusieurs chants patriotiques.

En 1856 et 1857, il entreprend l’écriture de son opéra Faust. Au moment où il y met la dernière main, on joue encore au théâtre de la Porte Saint Martin le Faust et Marguerite de Carré. Léon Carvalho, directeur du tout récent Théâtre-Lyrique, juge trop périlleux de produire simultanément deux Faust rivaux. Gounod et lui décident de travailler plutôt sur Le médecin malgré lui. Ce sera seulement en 1858 que Carvalho acceptera de produire Faust et que Gounod terminera son opéra.

La Nuit de Walpurgis, lors de la création de Faust au Théâtre-Lyrique
Dessin de Cambon et Thiery

Carvalho inaugure la nouvelle salle du Théâtre-Lyrique (place du Châtelet, aujourd’hui Théâtre de la Ville) avec Faust en 1862. C’est un succès.

En 1867, outre-Rhin, Wagner qualifie le Faust de Gounod de “faible pastiche français d’un monument littéraire allemand”. Le sentiment de Gounod à son égard, plutôt positif jusque-là, est naturellement refroidi par ce jugement lapidaire.

En 1868, l’opéra de Paris demande à Gounod de composer un ballet pour son Faust. Réticent, le compositeur exprime au directeur la “fatigue mentale” que lui procure cette adjonction.

Encouragé par le succès de ses opéras Faust et Le médecin malgré lui, il compose cinq autres opéras dans les huit années qui suivent, tous avec les librettistes Barbier et Carré.

Parmi les plus connus, citons La reine de Saba (1862), Mireille (1864) et Roméo et Juliette (1867).

3 ans en Angleterre

En septembre 70, la guerre est aux portes de Paris. Le moral au plus bas, Charles Gounod quitte la France et trouve refuge en Angleterre avec sa famille.

L’Énigme, de Gustave Doré, 1871, issu du triptyque Souvenirs de 1870

Lettre à Edouard Dubuffet 8 novembre 1870

Voilà le résultat actuel du Progrès humain. Si c’est aux fruits qu’on juge l’arbre, et si, comme cela est incontestable, la valeur des causes doit se mesurer à celle des effets, il faut reconnaître que, pour en arriver où nous sommes, la sagesse humaine a dû faire bien fausse route.

Il compose en 1871 une pièce nommée Gallia, portant le sous-titre motet-lamentation. Cette œuvre décrit la désolation de Jérusalem après la conquête de la cité par Nabuchodonosor :

“L’idée m’est venue de représenter la France telle qu’elle était… outragée, violée par l’insolence et la brutalité de son ennemi”. – pour mieux exhorter ensuite ses habitants à la conversion : “Jérusalem, reviens vers le Seigneur ton Dieu”.

L’œuvre est créée le 1er mai 1871 au Royal Albert Hall et remporte un beau succès.

Gounod propose à la soprano Georgina Weldon, qu’il a rencontrée en février, de tenir la partie soliste de Gallia pour la création française. L’œuvre est programmée à l’Opéra Comique, à Notre-Dame et au Conservatoire de Paris.

En novembre, ils retournent à Londres et Mrs. Weldon invite Gounod à s’installer chez elle et son époux, à Tavistock House. Elle a pour souhait de bâtir un orphelinat aménagé pour la musique, et endosse le rôle d’impresario de Gounod.

En France, la presse critique sévèrement l’exil du compositeur, et l’hospitalité de Georgina Weldon suscite toutes sortes de rumeurs. Gounod comme Mrs. Weldon seront victimes de charges violentes, dénoncées des deux côtés comme d’affreuses calomnies.

La période anglaise est prolifique : Gounod compose des pièces pour une société chorale fondée par Mrs. Weldon, une musique de scène pour le Jeanne d’Arc de Barbier, des chansons anglaises, d’autres italiennes, des esquisses pour un Opéra Comique autour de George Dandin, la Messe brève pour les morts et la Missa angeli custodes… Il poursuit également l’écriture d’un opéra dont les germes ont été semés lors d’un voyage à Rome en 1868 : Polyeucte, en mémoire du martyr chrétien du IIIe siècle.

Retour en France

A son retour à Paris, il rencontre des difficultés à récupérer le manuscrit de Polyeucte. Mrs. Weldon retient les documents et tient à s’occuper de la vente de l’opéra. L’affaire est portée devant la justice anglaise, qui donne raison à Mrs. Weldon.

Gounod entreprend malgré tout de réécrire l’opéra de mémoire. Il l’a presque terminé quand il reçoit finalement la musique originale en septembre 1875 : Mrs. Weldon la lui transmet par l’intermédiaire de son ami Oscar Comettant.

Dans la dernière partie de sa vie, Gounod compose beaucoup de musique religieuse, notamment un grand nombre de messes et deux oratorios : La Rédemption (1882) et Mors et vita (1885).

Gounod s’éteint le 18 octobre 1893, ce sera la dernière modulation qui se résout sur la tonique du concert éternel 5.

Il bénéficie de funérailles nationales en l’église de la Madeleine, avec du plain-chant pour toute musique, selon ses volontés.

Les grandes dates de la vie de Charles Gounod

  • 1818 : naissance à Paris
  • 1839 : Grand Prix de Rome avec la cantate Fernand
  • 1840-1843 : Pensionnaire de l’Académie de France à la Villa Médicis
  • 1842 : voyage en Allemagne et Autriche
  • 1843 : maître de chapelle aux Missions étrangères de Paris
  • 1850 : rencontre la mezzo-soprano Pauline Viardot
  • 1851 : création de son opéra Sapho à la salle Le Peletier
  • 1852 : mariage avec Anna Zimmermann
  • 1852-1860 : préside l’Orphéon de la Ville de Paris
  • 1859 : première de Faust au Théâtre Lyrique
  • 1859 : création de l’Ave Maria avec la collaboration de Pierre-Joseph Zimmermann
  • 1859-1867 : compositions de 5 opéras, dont Mireille (1864) et Roméo et Juliette (1867)
  • 1870-1873 : exil en Angleterre. Rencontre de Georgina Weldon. Composition de Gallia (1871)
  • 1893 : mort à Saint-Cloud

 

1 Ingres, qui fait la connaissance de Gounod à la Villa Médicis, considère que ce dernier aurait pu concourir pour le prix de Rome, également dans le domaine des Beaux-Arts.

2 Antoine Reicha est également professeur au conservatoire de Paris, où il enseigne notamment à César Franck.

3 Dans la catégorie de la composition musicale, le prix de Rome offre à ses lauréats deux années d’études à Rome et une troisième, soit en Allemagne, soit en France. Mis en place par Colbert, le prix de Rome a disparu suite aux événements de mai 68.

4 Compositeur, professeur de piano au conservatoire de Paris et futur beau-père de Gounod

5 Lettre du 13 avril 1867 à la Duchesse de Colonna

 

Sources

  • Richard Wagner, Deutsche Kunst und deutsche Politik, 1867
  • Georgina Weldon, Mon orphelinat et Gounod en Angleterre, 1875
  • Charles Gounod, Mémoires d’un artiste, Calmann Lévy, 1896
  • Richard Boursy, The Mystique of the Sistine Chapel Choir in the Romantic Era, University of California Press, 1993
  • Steven Huebner, Gounod, Grove, 2001
  • Julie Anne Sadie, Georgina Weldon, Grove, 2001
  • Gérard Condé, Charles Gounod, biographie et catalogue complet, Fayard, 2009

 

 

Rédaction de l'article

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