La messe des Anges Gardiens de Gounod

La messe des Anges Gardiens (aussi connue sous son nom latin Missa angeli custodes) a été composée en 1871 par Charles Gounod lors de son séjour en Angleterre. Le compositeur y développe une musique d’une savante simplicité.

Gounod en Angleterre

En septembre 1870, Charles Gounod se réfugie à Londres avec sa famille pour fuir la guerre contre la Prusse. Il sera profondément touché par cet affrontement : sa propre maison sera détruite lors de l’incendie de Saint-Cloud par l’armée prussienne1.

Dans une lettre datant du 8 novembre 1870, il confie à son ami Dubuffet sa défiance envers le progrès qui est, selon lui, responsable de la guerre. Il y ajoute toutefois quelques mots exprimant son espérance :

Si tant de malheurs ont pu nous instruire et nous ramener à la simplicité du vrai, et au vrai de la simplicité, tout ne sera pas perdu, et quelque chose de précieux et de salutaire y aura été gagné, car tout se tient ici-bas, les conséquences du faux comme celles de la vérité.

Dans cet état d’esprit, Gounod cherche à simplifier son langage musical, à contre-courant des mouvements musicaux de l’époque (Debussy, Wagner, ou le post Romantisme).

L’hospitalité des Weldon

Gounod fait la connaissance de la soprano Georgina Weldon en février 1871. La guerre étant terminée – l’armistice a été signé le 29 janvier – il lui propose de l’accompagner en France et de tenir la partie soliste pour la création française de Gallia2.

Suite à ces concerts, les Gounod sont invités à s’installer à Tavistock-House chez les Weldon. Reconnaissant, le compositeur appelle ces derniers « [ses] anges gardiens » ; ainsi Mrs. Weldon, qui s’est attachée à la réussite de Gounod et a pris en main ses affaires, peut voir dans le titre de la messe une dédicace directe à son endroit. Cela n’est cependant pas attesté : l’œuvre est déjà dédiée à l’archevêque de Westminster, Mgr Manning. Par ailleurs, Gounod l’a peut-être simplement composée pour la fête des Saints anges gardiens, célébrée le 2 octobre.

Charles Gounod gardera un souvenir mitigé de son exil londonien. La presse française voit d’un mauvais œil son exil volontaire outre-Manche, et la mainmise de Mrs. Weldon sur ses affaires, peut-être bienvenue au départ, lui pèse de plus en plus.

Ainsi, à son retour à Paris, Gounod souhaite récupérer le manuscrit de Polyeucte, qu’il a laissé à Tavistock-House ; mais Georgina Weldon refuse de le lui envoyer, car elle souhaite continuer d’être son impresario. L’affaire se termine au tribunal, et la justice anglaise donne tort à Gounod.

L’influence romaine

A l’instar de nombreux compositeurs romantiques, Gounod est fasciné par la musique donnée à la Chapelle Sixtine, et notamment par celle de Palestrina. Il a eu l’occasion de l’entendre lors de son séjour à Rome, alors qu’il n’avait que 22 ans. Cette expérience quasi mystique a profondément marqué sa personnalité.

J’allais donc le plus possible à la chapelle Sixtine. Cette musique sévère, ascétique, horizontale et calme comme la ligne de l’Océan, monotone à force de sérénité, antisensuelle, et néanmoins d’une intensité de contemplation qui va parfois à l’extase, me produisit d’abord un effet étrange, presque désagréable. Était-ce le style même de ces compositions, entièrement nouveau pour moi, était-ce la sonorité particulière de ces voix spéciales que mon oreille entendait pour la première fois, ou bien cette attaque ferme jusqu’à la rudesse, ce martèlement si saillant qui donne un tel relief à l’exécution en soulignant les diverses entrées des voix dans ces combinaisons d’une trame si pleine et si serrée, je ne saurais le dire. Toujours est-il que cette impression, pour bizarre qu’elle fût, ne me rebuta point. J’y revins encore, puis encore, et je finis par ne pouvoir plus m’en passer3.

La messe proprement dite

La missa angelis custodes, composée en 1873 dans le style religieux le plus pur, est une messe brève4 pour chœur mixte, solistes et accompagnement d’orgue. Les voix y sont traitées et limitées selon l’échelle naturelle des registres, et la partie d’orgue accompagne doucement les voix.

Charles Gounod porte un regard circonspect sur la complexification de la syntaxe musicale, ainsi que sur les compositeurs qui y voient un signe de progrès. Pour lui, le progrès véritable se situe dans la reconnaissance du « vrai de la simplicité ».

Ainsi, Gounod utilise-t-il pour sa messe une harmonie simple et inspirée de Mozart, avec çà et là des colorations romantiques5. De grands passages sont en homorythmie (tous les pupitres chantent les mêmes paroles sur le même rythme) pour faciliter la compréhension du texte.

La messe est créée le 3 mai 1873 par le Gounod’s Choir. Par la suite, le compositeur proposera une orchestration qui sera donnée le 21 février 1874, avec le même chœur, à Saint James’s Hall. Il faudra attendre mars 1875 pour la création française à Notre-Dame de Paris, sans doute dans une orchestration nouvelle pour cordes seules.

Les partitions d’orchestre de ces deux versions ont aujourd’hui disparu.

Postérité

De nos jours, l’œuvre est peu donnée : si l’on trouve certains enregistrements sur la toile, ils sont partiels, et émanent de chœurs amateurs ; un enregistrement in extenso demeure absent des plateformes de lecture en continu, et il est impossible d’en trouver une version CD.

Le mouvement O Salutaris est quelquefois isolé pour être chanté lors de l’Offertoire ou pendant le salut du Saint-Sacrement.

1 Cet incendie fait suite à la bataille de Buzenval le 19 janvier 1871 – Retour vers la suite du texte

2 Cette pièce décrit la désolation de Jérusalem et l’impiété de ses habitants lors de son massacre par Nabuchodonosor, faisant écho au siège de Paris. Elle a rencontré un beau succès le 1er mai 1871 au Royal Albert Hall. – Retour vers la suite du texte

3 Extrait de Charles Gounod, Mémoires d’un artisteRetour vers la suite du texte

4 Une messe brève est une pièce qui reprend l’Ordinaire de la messe, mais de façon abrégée. – Retour vers la suite du texte

5 Gounod parsème sa partition de dominantes secondaires, faisant écho à la poésie de Schumann. – Retour vers la suite du texte

 

Sources

  • Georgina Weldon, Mon orphelinat et Gounod en Angleterre, 1875
  • Charles Gounod, Mémoires d’un artiste, Calmann Lévy, 1896
  • Richard Boursy, The Mystique of the Sistine Chapel Choir in the Romantic Era, University of California Press, 1993
  • Steven Huebner, Gounod, Grove, 2001
  • Gérard Condé, Charles Gounod, biographie et catalogue complet, Fayard, 2009.

 

Rédaction de l'article

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