Qui est Ludwig van Beethoven ?

Né à Bonn en décembre 1770, Ludwig van Beethoven est forcé dès son plus jeune âge à s’entraîner au piano plusieurs heures par jour. Son père, musicien médiocre, a détecté très tôt le talent de son fils, et est bien décidé à le voir suivre le chemin tracé quinze ans plus tôt par le célèbre Mozart.

Vienne

Beethoven rencontre Mozart lors de son premier voyage à Vienne en 1787. Après une suite de deuils familiaux, il n’y revient qu’en 1792 pour étudier avec Joseph Haydn. Durant ses études dans la ville impériale, il se fait connaître comme pianiste virtuose et improvisateur de génie, avant de publier ses premières compositions.

Révolutions musicales et idéologiques

Inspiré par la Révolution française, Beethoven adopte des idées libérales qui le guideront aussi à travers son approche de la musique. Bousculant les codes musicaux de l’époque, il se détache de ses premières influences, comme Haydn ou Mozart, et innove, notamment avec ses symphonies. Son œuvre représente la transition entre le classicisme et le romantisme.

Surdité

Dès l’âge de 26 ans, Beethoven commence à prendre conscience d’une perte d’audition progressive, qui finit par le laisser complètement sourd. Malgré ce handicap, Beethoven ne cesse jamais de composer : assis par terre devant un piano dont il a scié les pieds, il continue de vivre la musique grâce aux vibrations qu’il ressent à travers le sol.

Fréquemment malade, il finit par s’éteindre à Vienne en 1827. Il laisse derrière lui une musique qui a ouvert la voie à de nombreux autres compositeurs, tels Brahms, Schubert et Wagner.

 

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« Jesu, Meine Freude » de Bach, entre sobriété et génie musical

Créé à Leipzig en 1723, le motet Jesu, meine Freude est un jeu subtil entre la sobriété de la liturgie  luthérienne et le génie musical de Jean-Sébastien Bach. Tout part d’un cantique luthérien du XVIIe siècle, écrit par Johann Crüger et chanté par l’assemblée dans les temples protestants. Le motet de Bach est une succession d’harmonisations différentes de ce choral tout simple, ainsi transfiguré en un monument musical remarquablement charpenté. 

 

“Sans Bach, la théologie serait dépourvue d’objet, la Création fictive, le néant péremptoire. S’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu.”
Cioran, Syllogismes de l’amertume.

 

Une harmonisation virtuose de la simplicité liturgique

Jesu, meine Freude est une prodigieuse harmonisation sans cesse recommencée du choral luthérien, que l’on entend de façon récurrente, porté par les sopranos 1, tandis que les autres voix brodent et enrichissent merveilleusement la pureté initiale du motif. 

Bach a par ailleurs choisi de transformer le choral, forme musicale éminemment épurée, en motet. Le motet trouve ses origines médiévales dans la simplicité du chant grégorien mais n’a cessé de se complexifier au fil de l’histoire de la musique, en intégrant peu à peu des voix supplémentaires, ayant chacune leur rythmique et leur texte propre. Pour comprendre la richesse du motet, on peut se figurer en peinture un ensemble de scènes différentes superposées sur une même toile de façon à ce que chaque scène soit identifiable indépendamment des autres mais que l’œuvre dans son ensemble conserve sa cohérence. À l’époque baroque, il est ainsi devenu une forme musicale très riche, qui permet aux compositeurs d’exercer leur maestria

Dans cette grande densité musicale, on retrouve pourtant des éléments rappelant la simplicité initiale de la forme, à laquelle Bach reste attaché. Il fait par exemple souvent le choix d’une musique figurative, qui exprime le message de son texte. Ainsi, dans le 5e mouvement Trotz dem alten Drachen, les basses illustrent les mots “tobe” (“enrage”) et “brummen” (“grondent”) par de vigoureux mélismes dans les graves, donnant ainsi à entendre la tempête du combat spirituel. L’unisson soudain des cinq voix sur le “ich steh hier und singe” (“je me tiens ici, et je chante”) fait entendre la fermeté et la cohésion du chœur – image des fidèles luthériens – face aux attaques du monde. Cet équilibre entre la simplicité du motif et la richesse de la composition fait tout le génie de l’œuvre.

Deux textes en dialogue : un enrichissement du message spirituel

Le choral de Crüger, composé en 1653, met en musique un poème de Johann Franck, Jesu, meine Freude, véritable déclaration d’amour du croyant à Jésus, qu’il chante être sa joie et son soutien face aux épreuves et à la vacuité de l’existence. Le poème est composé de six strophes, que Bach reprend successivement dans les 1er, 3e, 5e, 7e, 9e et 11e mouvements de l’œuvre. Le poème commence et finit par une adresse directe à Jésus pour lui exprimer son amour et sa confiance. Les quatre strophes intermédiaires évoquent l’épreuve des maux terrestres, que le poète affronte d’abord dans la colère et le combat, puis traverse avec une certaine douceur apaisée, que Bach met magnifiquement en musique dans le Gute Nacht, o Wesen. Le croyant s’unit plus fortement à Jésus dont il redit en apothéose finale qu’il est toute sa joie.

Dans son motet, Bach a choisi d’étoffer le cheminement spirituel du texte en y intercalant des extraits de l’épître de Saint Paul aux Romains (VIII 1-2; 9-11), qui affirme la nature spirituelle de l’homme, créature de Dieu et appelé à se libérer de l’emprise de la chair. Cette glose permet de renforcer le message du choral, et de servir l’office des funérailles pour lesquelles l’œuvre a été composée : le croyant est réaffirmé comme libre face aux forces du mal dans la mesure où il s’unit à Dieu. 

Une architecture finement charpentée

Pour structurer son œuvre, Bach ne s’est pas contenté d’alterner deux textes distincts : les onze mouvements obéissent à une architecture symétrique autour du mouvement central de fugue, Ihr aber seid nicht fleischlich. Au choral initial (1) répond le choral final (11), au trio de voix hautes (4) répond celui de voix basses (8), et au chœur Es ist nun nichts (2) répond le chœur So nun der Geist (10), qui reprend quasiment les mêmes motifs musicaux. Toute la structure du motet met donc en valeur le message central de la fugue : “Mais vous, vous ne vivez pas selon la chair, mais selon l’Esprit”. 

Petit clin d’œil symbolique, le motet suit donc une structure en chiasme. Le chiasme évoque la lettre grecque Chi (χ), qui est aussi la première lettre du mot “Christ”. Selon Katherine R. Goheene, cette structure chiastique symbolise de façon intentionnelle le Christ dans la métaphysique musicale de l’époque. 

C’est donc par une architecture finement construite que Bach décline et sublime la simplicité du cantique luthérien.

 


Johann Sebastian Bach (1685-1750)

Jesu, meine Freude (BWV 227)

  1. Choral Jesu, meine Freude
  2. Chœur Es ist nun nichts
  3. Choral figuré Unter deinen Schirmen
  4. Trio Denn das Gesetz
  5. Chœur Trotz dem alten Drachen
  6. Fugue Ihr aber seid nicht fleischlich
  7. Choral figuré Weg mit allen Schätzen
  8. Trio So aber Christus in euch ist
  9. Chœur Gute Nacht, o Wesen
  10. Chœur So nun der Geist
  11. Choral Weicht, ihr Trauergeister

Composition : vraisemblablement par morceaux, à diverses époques, et finalisé à la fin des années 1720.

Création : le 18 juillet 1723, à la Nikolaikirche de Leipzig, à l’occasion des funérailles de Johanna Maria Kees, la fille du recteur de la Thomasschule, où Bach venait d’être nommé Thomaskantor. Il s’agit donc d’un motet funèbre.

Effectif : chœur à 5 voix (SSATB), avec une alternance de pièces à 3, 4 ou 5 voix.

 


Sources

 

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Qui est Jean-Sébastien Bach ?


Qui est Jean-Sébastien Bach, ce compositeur allemand, né à Eisenach à la fin du XVIIème siècle, mort à Leipzig le 28 juillet 1750, à l’âge de 65 ans ? L’homme aux mille compositions. Bach, le prolifique, le pilier de la tradition musicale baroque !

Son enfance

Dernier de huit enfants, Jean-Sébastien Bach est baptisé dans la tradition luthérienne. Son père est un organiste et un violoniste de talent. Il est élevé par son frère aîné, après la mort de leurs deux parents quand il avait  10 ans. A l’âge de 15 ans, doté d’une bourse, il prend son indépendance en intégrant la manécanterie de Lunebourg. Il y apprendra l’orgue, le clavecin et le violon.

Profession organiste

A 18 ans, il est employé comme violoniste d’un orchestre de chambre, puis accepte un poste d’organiste à Arnstadt, où il se forme à la technique du contrepoint musical. Quatre ans plus tard,  il devient organiste titulaire à Mühlhausen, en Thuringe et y compose sa première cantate. 

De 1708 à 1717, Guillaume II, duc de Saxe-Weimar en fait son organiste et son premier violon soliste. Bach se perfectionne dans l’écriture d’œuvres en  alternance solo-tutti. Appelé à la cour du roi de Pologne à Dresde, il préfère rester auprès du duc de Weimar qui double sa rétribution

Le beau-frère du duc, le prince Léopold d’Anhalt-Köthen, lui propose un poste de maître de chapelle. C’est le  poste le plus prestigieux pour un organiste ; il sera propice à l’écriture des plus grandes œuvres du compositeur, dont les six concertos brandebourgeois. Pourtant, il doit quitter Weimar pour Leipzig, deuxième ville de Saxe, où il devient responsable de formation musicale. Il y séjourne jusqu’à sa mort et y compose sa Passion selon Saint Jean et sa Messe en si mineur. Il perd la vue 5 ans avant sa mort. 

Jean-Sébastien Bach eut  20 enfants de ses deux mariages. Dix moururent en bas-âge, mais quatre de ses fils devinrent compositeurs à leur tour.

 

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La musique classique, d’accord, mais… et les femmes, là-dedans ?

Quand on parle de musique classique, particulièrement de compositeurs et de chefs d’orchestres, on entend surtout des noms d’hommes. En fait, on n’entend pratiquement que ça, comme si la musique classique était un club pour gentlemen anglais du XIXe siècle. Mais pourquoi ? La femme est-elle allergique à la musique, comme le vampire au soleil ? Que nenni. Le problème, comme souvent, se situe chez… les hommes.

Une brève histoire des femmes dans la musique

L’invisibilisation des femmes au cours de l’histoire ne date pas d’hier, et elle n’est pas cantonnée au domaine de la musique. L’histoire est principalement écrite par des hommes, pour des hommes, dans un patriarcat confortable. Pour celles et ceux qui pensent que j’exagère, je vous invite à aller vous renseigner sur certains sujets oubliés, comme les chevaleresses, par exemple.

Dans la musique, comme partout, les femmes ne font pas ce qu’elles veulent. Pendant de nombreux siècles, elles n’ont même pas le droit de chanter à la messe, l’Église le leur interdisant. La musique est là pour exalter le sentiment religieux, alors des femelles ? Avec des voix tentatrices et des pensées impures ? Surtout pas ! Après le serpent, on a compris, on ne leur confie plus rien d’importance, à part la tenue de la maison et l’éducation des jeunes enfants. Après, il y a bien les trobairitz en Occitanie, ou les troubadouresses, mais même Wikipédia n’a pas grand chose à dire sur la place des femmes dans l’histoire de la musique, parce que, n’est-ce pas, qui est-ce que ça pourrait intéresser alors qu’on a tant de grands compositeurs ?

Non, globalement, les femmes sont là pour servir de muse, pas pour créer, merci bien. Et ça vaut pour tous les arts, pas uniquement la musique. Si madame voulait bien se tenir tranquille, là, être belle et se taire ? Merci, ça serait gentil, il faut que monsieur se concentre. Parce que tout le monde sait que le génie créatif se trouve dans la prostate, et pour communier avec sa prostate, rien de mieux que le silence et la vision d’une jolie femme.

À la Renaissance, assez ironiquement, alors que le monde des arts s’étend et que l’humanisme apparaît, les droits des femmes reculent. Elles ne sont plus rien d’autre que la propriété de leur père, puis de leur mari. Il devient encore plus difficile pour elles de sortir du cadre qu’on leur impose. Aux périodes baroque et classique, les femmes renouent avec la musique, mais uniquement dans les limites qui leur sont données. Elles ne peuvent jouer que de certains instruments, dans certains lieux, dans certaines circonstances, et certainement pas composer. En tout cas, pas pour le public. L’invention est un travail d’homme, une distraction malvenue chez les femmes.

Pourtant, malgré tout, certaines femmes ont réussi à faire ce qu’elles aimaient, ont bravé les interdits et osé jouer et composer, en dépit des restrictions que leur imposait la société.

Les compositrices, oubliées de l’Histoire

Parce que oui, des compositrices, il y en a eu, il y en a, et il y en aura toujours (enfin, on espère, hein). Et si la plupart ont été oubliées, reléguées au néant car jugées sans valeur, certaines sont parvenues jusqu’à nous. Des noms qui n’ont pas la reconnaissance d’un Mozart ou d’un Chopin, mais qui n’en comptent pas moins.

Si on remonte à l’Antiquité, Sappho représente les poétesses et musiciennes de l’époque. Sa musique, aujourd’hui perdue, était faite de poèmes et d’instruments à cordes, qui rythmaient des odes à Aphrodite, déesse de l’amour. Mais comme il paraît qu’elle préférait les filles, on l’a vite rangée sous le tapis.

Hildegarde Von Bingen (1098-1179), abbesse, voyante, naturaliste, guérisseuse, musicienne et poétesse, a beaucoup apporté à la musique religieuse et à la médecine. Mais bon, le plus important, c’est qu’elle ait découvert les propriétés du houblon, non ? La bière, y’a que ça de vrai.

Maddalena Casulana (1544-1590) est la première compositrice à être publiée. Elle chante, joue du luth et compose des madrigaux. Pour prouver qu’en plus du talent, elle a la classe, elle cacedédi (dédicace en verlan) son premier livre de madrigaux à Isabelle de Médicis en ces termes :  “[Je] veux montrer au monde, autant que je le peux dans cette profession de musicienne, l’erreur que commettent les hommes en pensant qu’eux seuls possèdent les dons d’intelligence et que de tels dons ne sont jamais donnés aux femmes.”

On peut aussi parler d’Hélène de Montgeroult (1764-1836). Excellente interprète de piano-forte, exceptionnelle improvisatrice, grande pédagogue, elle est la première femme à enseigner au Conservatoire de Paris. Elle compose, mais on préfère se souvenir d’elle comme d’une enseignante, rôle qui convient mieux aux femmes, n’est-ce pas ?

Beaucoup d’autres femmes ont encore marqué l’histoire de la musique, comme Béatrice de Dié, Blanche de Castille, Elisabeth Jacquet de la Guerre, Louise Farrenc, Clara Schumann, Alma Maria Mahler, Pauline Viardot, Mel Bonis, Lili et Nadia Boulanger, Camille Pépin ou encore Fanny Mendelssohn (mais nous y reviendrons…).

Mais du coup, aujourd’hui, ça va mieux ?

Non non, rien n’a changé, tout tout a continué !

Bon, d’accord, ça va quand même un peu mieux, ok. Mais ça ne veut pas dire que tout va bien. Parce que des millénaires de sexisme ne s’effacent pas en quelques décennies. Qu’elles soient compositrices, cheffes d’orchestres, chanteuses ou instrumentistes, les femmes sont toujours bien moins représentées que les hommes dans la musique, classique ou non. Et si les nombres ne sont plus aussi inégalitaires qu’avant, les programmations, elles, restent en très nette faveur des hommes.

Si ça vous intéresse d’approfondir le sujet, voici une étude de l’état des lieux de la présence des femmes dans la filière musicale du Centre National de la Musique.

Les compositrices peinent toujours à se faire un nom, les cheffes d’orchestres représentent un très faible pourcentage dans le métier, les chanteuses sont moins bien payées que les chanteurs et les instrumentistes femmes sont encore souvent cantonnées à certains types d’instruments considérés comme plus féminins… et ce ne sont que quelques exemples. Parce que les mentalités évoluent lentement et que les inégalités hommes-femmes sont encore bien présentes, n’en déplaise à celles et ceux qui ne comprennent pas pourquoi les femmes se plaignent encore alors qu’elles ont plein de droits !

La musique classique, en particulier, est le territoire des hommes depuis si longtemps qu’il est difficile pour les femmes de s’y faire un chemin.

Bien sûr, ce n’est pas vraiment de la faute de la musique. Tant que la société restera perchée sur les restes du patriarcat en s’y accrochant désespérément, il sera difficile d’atteindre une vraie égalité.

Pour l’instant, il est plus important de s’émerveiller qu’une femme ait réussi à faire quelque chose que de mettre en avant et valoriser son nom. Parce que le plus impressionnant, c’est qu’une femme y soit arrivé. Savoir qui elle est, c’est très secondaire. C’est marrant, ce n’est jamais le cas avec les hommes. Et si vous ne me croyez pas, une femme a pourtant sa page Wiki, elle aussi.


Sources 

Illustration de l’article : Laurent de La Hyre, La muse Euterpe, allégorie de la Musique, New York, Metropolitan Museum of Art, 1648


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La grande histoire de l’opérette

Cocorico! Broadway est français !
Le trait est quelque peu grossi (que ne ferait-on  pas pour capter l’attention de son lectorat !), mais la comédie musicale a en effet une origine française, avec son cousin et ancêtre : l’opérette ! 

Petite généalogie de l’opérette 

Si Offenbach est le premier nom qui vient en tête en évoquant l’opérette, ses origines remontent  bien avant la naissance de cette star des théâtres de boulevard.

Le trouvère Adam de la Halle serait, au XIIIe siècle, l’un des premiers à écrire ce genre de bouffonneries pastorales et pittoresques mêlant théâtre et musique, un ancêtre éloigné notre opérette en somme.

Au XVIIe siècle, Molière et Lully surent entretenir des divertissements légers de cour dans leurs comédies-ballets. 

Au XVIIIe apparaît enfin un cousin proche de l’opérette. Des pièces théâtrales inspirées par l’opera-buffa italien, satiriques, burlesques, ornées de refrains entêtants, sont  alors jouées dans les foires de Saint-Germain, de Saint-Laurent et de Saint-Ovide. C’est la naissance de l’opéra-comique, rapidement soutenu par les penseurs des Lumières qui condamnent par la même occasion le sérieux – jugé pompeux – des compositeurs baroques de « drames lyriques ornés de machines et de danses ». 

Attention : l’opéra comique n’est pas pour autant toujours drôle (frauduleux comme nom, n’est-ce pas?) ! Porté par les Lumières, il allie encore souvent comique et observation critique, ironique, de sujets sérieux de l’époque. Des passages parlés permettent d’ailleurs de s’adresser au public en aparté. Un exemple pour vous convaincre de la supercherie qui se cache derrière le terme « opéra comique »? La fin de Carmen, n’en déplaise à Bizet, n’est pas des plus tordantes…

Et pour cause : le terme comique dérive du latin comicus « qui a trait au théâtre, aux comédiens ». Au départ, il exprime donc le fait que ces pièces soient en partie parlées, en faisant un genre à mi-chemin entre opéra et théâtre. L’aspect humoristique d’une pièce est alors plutôt exprimé par le terme d’opéra-bouffe.

 Il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour que l’opérette telle que nous la connaissons naisse en France.  Fatigué par les révolutions passées, par les changements de gouvernement du Second Empire et par une industrialisation de plus en plus intensive, le public parisien, toutes classes sociales confondues, avait grand besoin de ce divertissement. Des compositeurs comme Florimond Ronger alias Hervé, père de l’opérette, suivi par Offenbach, son ami et rival, exportent ces excentricités musicales parisiennes en Europe (à Vienne notamment) et remplissent les salles des théâtres du Châtelet, des Champs-Elysées, des Variétés, de la Gaîté Lyrique…

Place aux choses sérieuses ?

L’aube du XXe siècle, avec sa Grande Guerre, brise le délire euphorique et parisien des « cafés-concerts » de boulevard. Les théâtres cités plus hauts deviennent des lieux sérieux, dédiés aux concerts sérieux, lors desquels se joue de la musique sérieuse, composée par des compositeurs sérieux. Quelques-uns de ces compositeurs (Messager, Poulenc…) se prêtent cependant encore avec amusement à la composition d’opéras plus légers. 

Outre-Atlantique, l’opérette inspire la comédie musicale américaine (Broadway nous doit donc effectivement une fière chandelle), avant que celle-ci ne se détourne finalement de ses origines classiques et françaises pour embrasser les nouvelles formes de musiques,notamment le jazz. 

Dans l’entre-deux guerres, le pays de l’aïoli et du pastis s’empare de l’opérette et en fait un divertissement provençal et provincial.

Arrive une Seconde Guerre mondiale, mais l’opérette tient et connaît un nouveau et dernier souffle entre les années 50 et 60, avec des chanteurs comme Luis Mariano (si si, vous connaissez forcément le chanteur de « Mexiiiiii-cooo »!).    

Aujourd’hui, pour vivre ce genre de divertissement, il faut assister à des représentations de ces œuvres du passé.

Mais souhaitons que l’opérette vive toujours, car il est vital de rire en musique et d’écouter de la musique en riant !

 

SOURCES :

 

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Pourquoi Oya Kephale ne joue que des œuvres d’Offenbach ?

Il est une question que les habitués des productions d’Oya Kephale finissent souvent par se poser, après avoir assisté à deux, trois, voire dix opéras-bouffes montés par notre troupe : 

“ – Mais vous ne jouez que du Offenbach ? Jamais d’autres compositeurs ?”
“- Pourquoi rejouez-vous les mêmes opérettes année après année ?”
“- Il y a des opérettes moins connues que vous pourriez jouer !”

 Ces questions font hélas souvent abstraction de la moitié du programme d’Oya Kephale, et entretiennent l’idée reçue selon laquelle notre troupe ne jouerait que du répertoire offenbachien. 

Oya Kephale, ce ne sont pas que des opéras-bouffes, mais aussi des concerts d’autres types de musique.

Eh oui, à chaque mois de décembre, le chœur et l’orchestre jouent un programme mettant à l’honneur différents compositeurs, souvent du XIXe siècle, avec dernièrement Charles Gounod, César Franck, ou Camille Saint-Saëns. Mais des œuvres d’autres époques, allant de la Renaissance (Motets de Monteverdi) à la fin du XXe siècle (Silouans song d’Arvo Pärt), ont également été jouées à l’occasion de ces concerts.

Et Offenbach n’y tient une place que très minoritaire : c’est en effet seulement lors des éditions de 2010 et de 2015 que des extraits de quatre de ses œuvres (lyriques) furent interprétés : 

  • Sponsa Dei, pour chœur et orchestre, extrait de la musique de scène du drame La Haine, de Victorien Sardou.
  • Les Fées du Rhin, Ouverture pour orchestre, et Marche funèbre pour orchestre et chœur de femmes.
  • “Hommage à Jacques Offenbach” pour solistes, chœur et orchestre,
      d’après l’Apothéose des Contes d’Hoffmann.

Toujours est-il que la troupe prend un grand plaisir à travailler ces œuvres de décembre, qui permettent d’élargir la pratique de chacun des musiciens à d’autres répertoires bien différents des opéra-bouffes d’Offenbach.  Et ces concerts sont aussi l’occasion de mettre en avant des pièces moins connues, voire rarement jouées, comme La Messe des anges gardiens de Charles Gounod, ou le Concerto pour flûte de Pleyel.

Les opérettes de mai : 99 % Offenbach

Il faut en revanche bien admettre que l’autre moitié du programme annuel d’Oya Kephale fait la part belle à Jacques Offenbach, avec douze de ses opéra-bouffes ou opéra-fééries, joués, rejoués – et parfois rerejoués ! – entre 1995 et 2023 !

Une seule exception doit être relevée, avec la création en 2004 d’un opéra-comique original, Merlin ou la nuit des métamorphoses. Composée par le directeur de la troupe de l’époque, Yannick Paget, sur un livret de Côme de Bellescize, cette œuvre signe néanmoins une parenté avec Offenbach, croisée avec celle de Bernstein. Elle propose en outre l’association audacieuse des influences de l’opérette, de la comédie musicale et du théâtre shakespearien.

Mais Offenbach reste bien le compositeur fétiche de la troupe, laquelle ne fait après tout que respecter l’héritage laissé par ses fondateurs, qui avaient démarré l’aventure avec la production de La Belle Hélène en 1995. Cette œuvre maîtresse du répertoire offenbachien a durablement imprégné l’identité de la troupe, à la fois nominale et visuelle. 

La pomme taillée en forme de cœur est en effet un clin d’œil à la célèbre pomme d’or de L’Illiade, élément déclencheur de l’enlèvement d’Hélène par Pâris, qui fonde l’intrigue de l’opéra-bouffe d’Offenbach. Ce fruit, et ses influences sur les amours humaines, est par ailleurs repris dans d’autres de ses œuvres comme Le Voyage dans la Lune.

La Belle Hélène sera ainsi jouée trois fois dans l’histoire de la troupe : après la première de 1995, une seconde en 2002 et une troisième à l’occasion de ses 20 ans en 2015. Mais ce sera aussi le cas de La Périchole, de La Vie parisienne ou encore des Brigands. Ces différentes reprises posent alors la question de l’inépuisabilité du répertoire offenbachien : la troupe a-t-elle fait le tour des opérettes de ce compositeur ? Pourquoi continuer à jouer les mêmes pièces ? La troupe sacrifierait-elle tant à son identité en dérogeant à la “règle Offenbach” ?

L’opéra-bouffe offenbachien, un format idéal pour la troupe comme pour le public

Si le rapport identitaire à Offenbach n’est pas à négliger, il ne suffit pas à expliquer la fidélité de la troupe à ce compositeur.

La question du « format » de ses œuvres est aussi centrale. Le modèle des opéra-bouffes d’Offenbach convient en effet bien à la structure de la troupe qui, rappelons-le, est composée d’un chœur et d’un orchestre permanent, à laquelle s’adjoignent des solistes.

L’orchestration de ces œuvres demande à la fois un effectif assez fourni et une grande variété d’instruments (cordes, bois, cuivres et percussions), tandis que les numéros chantés offrent un bon équilibre entre ceux qui sont propres au chœur et ceux propres aux solistes. Sans compter les finals,  avec des soli qui s’intercalent dans les refrains d’ensemble.

Les possibilités de retrouver une telle structure chez d’autres compositeurs sont finalement assez rares. Des opérettes bien connues comme La Chauve-souris de Johann Strauss ou La Belle de Cadix de Francis Lopez mettent davantage en valeur les personnages solistes au détriment du chœur, dont les quelques morceaux se comptent sur les doigts d’une main amputée. C’est d’ailleurs aussi le cas pour certaines pièces d’Offenbach, telles que Robinson Crusoé ou Vert-Vert. 

Par ailleurs, d’autres œuvres dont la structure pourrait convenir à la troupe, comme celles de Lopez, sont encore sujettes au droit d’auteur et les moyens de la troupe, qui demeure composée de bénévoles, ne sauraient couvrir les frais correspondants.

Enfin, il faut aussi croire que le répertoire offenbachien entretient encore et toujours un engouement du public en général, et de notre public en particulier ! La recette de l’opéra-bouffe assure en effet un succès quasi-certain – si elle est bien suivie !  – avec une partition enjouée, une orchestration étoffée, des mélodies entraînantes, gaies, parfois sentimentales, l’alternance des dialogues et des airs, la qualité du livret, son rythme, ses allusions satiriques et cet esprit « bouffe » qui amuse invariablement le public du XIXe siècle comme celui du XXIe.

Notre public ne semble pas se lasser d’Offenbach !

Alors, Offenbach pour toujours ? Voilà une grande question pour la troupe, qui pourrait bien élargir ses horizons et explorer des œuvres dignes d’être davantage mises  à l’honneur, qu’elles soient d’Offenbach, ou d’un autre !

 

Sources


 

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Le Théâtre des Variétés

Le Théâtre des Variétés, situé dans le 2ème arrondissement de Paris, a accueilli la création de nombreux opéras-bouffes d’Offenbach dont La belle Hélène (1864), Barbe-Bleue (1866), La Grande-duchesse de Gérolstein (1867), La Périchole (1868) et Les Brigands (1869). Petite histoire de ce lieu important dans la carrière d’Offenbach.

Mlle Montansier : du monopole à l’inauguration des Variétés (1768-1807)

La création du Théâtre des Variétés est intrinsèquement liée à l’histoire de Mademoiselle Montansier, personnalité hors du commun née à Bayonne en 1730.

À 14 ans, celle qui s’appelle encore Marguerite Brunet décide de fuir les Ursulines de Bordeaux pour s’engager dans une troupe de comédiens et entamer sa carrière en Amérique. Elle arrive à Paris quelques années plus tard, mais peine à obtenir une véritable notoriété en tant que comédienne.

En 1768, elle obtient grâce à son ami, le riche marquis de Saint-Conty, la direction du petit théâtre de la rue Satory à Versailles. Elle découvre ainsi sa véritable vocation de directrice de théâtre. Le succès est au rendez-vous et Marguerite, qui a alors changé son nom pour Mlle Montansier (parfois même ornementé d’une particule), attire même l’attention de Marie-Antoinette. Ces faveurs royales lui permettent d’acquérir un nouveau théâtre, rue des Réservoirs. Mieux encore, elle obtient le titre de Directrice des Spectacles à la suite de la Cour, puis la direction des théâtres de Versailles, Fontainebleau, Saint-Cloud, Marly, Compiègne, Rouen, Caen, Orléans, Nantes et Le Havre.

L’ascension de Mlle Montansier ne fait que croître et elle obtient ensuite la direction du Théâtre des Beaujolais, au Palais-Royal (1788) rebaptisé alors Théâtre-Montansier. Malgré la Révolution, la réputation de cette nouvelle salle ne se dément pas et le théâtre est même agrandi en 1791.

Après quelques mois passés en Bruxelles à diriger le prestigieux Théâtre de la Monnaie, la Montansier revient à Paris en 1793 pour y faire construire un tout nouveau Théâtre-National, dans la rue de la Loi (actuellement la rue Richelieu).

Le régime de la Terreur interrompt quelque temps l’ascension de Mlle Montansier. Celle-ci est accusée de complot, arrêtée et jugée avant d’être finalement innocentée. En juin 1806 – la France est alors devenue un Empire – un décret du gouvernement ordonne l’évacuation du Théâtre du Palais-Royal – qui portait alors le nom de « Variétés » – dont la réussite commence à éclipser dangereusement celle du Théâtre-Français voisin (l’actuelle Comédie-Française).

Mlle Montansier, furieuse, obtient tout de même l’aide de l’Empereur, lequel lui accorde la construction d’une nouvelle salle au boulevard Montmartre. Cinq mois plus tard, le 24 juin 1807, la salle est inaugurée en grande pompe sous le nom de … « Théâtre des Variétés », avec un vaudeville de Marc-Antoine Désaugiers, le Panorama de Momus.

Les premiers succès et le déclin temporaire (1807-1864)

Le retentissement de la soirée inaugurale aurait pu être de courte durée puisque l’Empereur, toujours soucieux de ne pas faire trop d’ombre à la troupe du Théâtre-Français, estime que Paris compte beaucoup trop de salles de spectacles et en fait fermer près d’une vingtaine. Le Théâtre des Variétés est pourtant épargné et les succès continuent de s’accumuler, bien que la notoriété des pièces en question n’ait pas survécu jusqu’à nos jours.

La Montansier meurt le 13 juillet 1820. L’histoire, décidément bien cruelle, aura vite fait d’oublier le nom de cette infatigable directrice. Même lors du centenaire du Théâtre des Variétés, en 1907, l’historique du lieu est dressé dans la revue Le Théâtre sans que jamais ne soit cité le nom de sa fondatrice. De nos jours, aucune rue ni aucune plaque ne célèbre l’influence considérable de cette femme sur le paysage scénique parisien.

Pendant les années qui suivent la mort de la Montansier, plusieurs directeurs se succèdent et la popularité des œuvres présentées au Théâtre des Variétés oscille entre le succès d’estime (au mieux) et le four magistral. Au milieu des années 1850, il est même de bon ton d’aller railler les pièces invraisemblables des Variétés, pièces que l’on se met à appeler des « ours » suite à l’échec de la pièce L’Ours et le Pacha de Scribe (1820).

Le Théâtre est alors surnommé « La Ménagerie » et l’expression « on répète aux Variétés » commence à faire florès pour signifier un effort vain et inutile.

Hippolyte Cogniard prend la tête du théâtre en 1855 et peine quelque temps à donner une identité propre aux Variétés. La comédie est dominée par le Gymnase, la farce par le Palais-Royal et l’opéra-bouffe commence à trouver son public aux Bouffes-Parisiens, salle fraîchement inaugurée sous l’impulsion d’un certain… Jacques Offenbach. Après quelques années d’errance, Cogniard présente en 1864 une opérette d’Hervé, Le Joueur de Flûte. Le succès relatif de l’œuvre et un papier du Figaro paru en août de la même année servent de signal à Cogniard : les Variétés sont prêtes pour une transition de taille.

L’ère Offenbach (1864-1880)

L’homme providentiel sera Jacques Offenbach. Déjà fort de plusieurs créations glorieuses, Offenbach travaille à une nouvelle œuvre qu’il destine à Hortense Schneider, la coqueluche des scènes parisiennes. Cette Belle Hélène en chantier est d’abord proposée au Théâtre du Palais Royal. Mais Schneider s’est brouillée avec la direction et c’est finalement le Théâtre des Variétés qui se propose d’accueillir ce nouveau projet, malgré le cachet exorbitant exigé par la chanteuse.

La Belle Hélène, créée le 17 décembre 1864, est un triomphe sans appel. L’œuvre permet au Théâtre des Variétés de renouveler son genre et son identité, et à Offenbach de confirmer sa transition créatrice de l’opérette en un acte vers des œuvres de format plus ambitieux (transition déjà entamée aux Bouffes-Parisiens). Après des années à voir les titres se chasser les uns les autres à un rythme effréné, la Belle Hélène reste au contraire à l’affiche pendant plusieurs mois. L’œuvre est reprise à la saison suivante et, quelques mois plus tard, Offenbach confirme le succès de cette nouvelle collaboration avec les Variétés en présentant son nouveau Barbe-Bleue, qui restera lui aussi à l’affiche pendant de longs mois.

Chaque nouvelle saison voit ensuite venir le « nouvel Offenbach » à la mode. En 1867, la Grande Duchesse de Gérolstein conquiert le cœur du public – à défaut de celui de la presse, un peu plus réservée – y compris celui de Napoléon III, qui assiste au moins à deux représentations. Vient ensuite la Périchole en 1868, menée en parallèle d’autres projets pour d’autres salles, puis Les Brigands en 1869.

Hélas, la fin du Second Empire va également marquer la fin de ces années brillantes. Le pays est épuisé par la guerre contre la Prusse. L’heure n’est plus tout à fait à la fête ni au divertissement. Les salles parisiennes ferment les unes après les autres. À l’issue de la bataille de Rezonville, le 18 août 1870, les Variétés sont transformées en infirmerie temporaire.

Le changement de régime politique est également une transition pour le théâtre des Variétés. La collaboration avec Offenbach ne s’est pas pour autant arrêtée : on reprend La Vie parisienne et on crée Les Braconniers en 1873, La Périchole est remontée dans une nouvelle mouture, on crée La Boulangère a des écus (1875) ainsi que Le Docteur Ox (1877), on reprend La Belle Hélène (1876). Mais les succès ne sont plus aussi systématiques et c’est Labiche qui est désormais le grand triomphateur des Variétés.

Offenbach meurt en 1880, entièrement absorbé par ses Contes d’Hoffmann (prévus pour l’Opéra-comique) dont il ne verra jamais la création.

Depuis Offenbach (1880 à nos jours)

Pendant la Belle Époque, le répertoire lyrique des Variétés peine à s’imposer, malgré la tenue entre 1904 et 1905 d’un festival consacré à l’opérette. Mistinguett obtient ses premiers succès aux Variétés à partir de 1911 (elle tiendra notamment le rôle de Pauline dans une reprise de La Vie parisienne), avant de s’imposer comme reine du music-hall. Ces années sont fastes pour le Théâtre des Variétés mais elles montrent un léger changement de cap dans le répertoire quotidien de la salle.

Après la Première Guerre mondiale, les Variétés sont surtout marquées par les pièces de Sacha Guitry et par la création éclatante de Ciboulette de Reynaldo Hahn (1923). À la veille de la Seconde Guerre, c’est Pagnol qui triomphe désormais. L’après-guerre marque ensuite les ères de Maurice Chevalier, Bourvil, de Funès, Fernandel dans les années 1960, Jacques Martin dans les années 1970 et bien d’autres encore… Si les succès des Variétés continuent de s’aligner encore aujourd’hui, la salle n’est plus le temple de l’opérette qu’elle était autrefois. Les goûts du public ont changé et les Variétés ont dû s’adapter.

La salle reste pourtant indissociable des deux grands noms qui l’ont façonnée durablement : Mlle Montansier et bien sûr… Jacques Offenbach.

 


Illustration de l’article : Le théâtre des Variétés et le passage des panoramas, boulevard Montmartre, vers 1820, Paris, Musée Carnavalet.

 


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Pourquoi s’accorde-t-on sur le la ?

On a déjà expliqué dans ces mêmes pages comment un orchestre s’accorde en début de concert, et qui est chargé de mener ce processus étrange et donne le la à tous les participants. Mais cela ne nous dit pas pourquoi c’est cette référence commune que tout le monde va adopter durant les prochaines heures de ce concert. Petite histoire abrégée du la…

Quel la ?

Des la, il en existe tout un tas. Il suffit de regarder le clavier d’un piano pour en compter 8 différents. De tous ces la, c’est en réalité le la3 qui est utilisé comme référence. C’est celui qui se place entre les lignes 2 et 3 sur une portée de clé de sol.

Le la, fût-il un la3, n’est pourtant pas une hauteur prédéterminée et n’existe pas de manière absolue. Le nom des notes utilisées dans la musique occidentale ainsi que leurs hauteurs ne sont en effet que des conventions qui facilitent la compréhension de la musique. De la même manière que les noms de couleurs ne sont que des étiquettes posées sur des réalités physiques, les notes de musique sont en réalité des fréquences déterminées par une valeur physique exprimée en Hertz (ou en battements par seconde).

Et en l’occurrence, le la de référence (le fameux la3) correspond à une vibration de 440 Hz. On le nomme donc parfois le la 440. D’ailleurs, si vous avez connu l’époque lointaine des téléphones fixes (c’est comme un smartphone mais avec un fil constamment relié au mur), ce la 440 est exactement la hauteur de la tonalité d’attente.

Mais alors pourquoi le la et pourquoi 440 ?

Pourquoi le la ?

La réponse est multiple. D’abord c’est par simple convention. On pourrait accorder un orchestre sur un do, un sol dièse ou un mi bémol qu’on arriverait globalement au même résultat. Mais on n’imagine pas qu’à chaque concert, le hautbois se lève en hurlant « Aujourd’hui les enfants, on part sur un fa … [pouet] ». On pourrait très bien décider que le lundi on s’accorde sur un do, le mardi sur un ré, … Mais voilà, on a tranché, c’est un la. Pourquoi ? Parce que pourquoi pas.

Mais en fait, le la répond aussi – et surtout – à un critère de commodité pour les nombreux instruments à cordes. Le la fait en effet partie des cordes à vide qu’ont en commun les violons, les altos, les violoncelles et les contrebasses. Il ne s’agit pas du même la selon la taille de l’engin, mais tous possèdent une « corde de la ». Or il est plus facile et nettement plus fiable d’accorder des instruments à cordes sur une corde à vide, sans se préoccuper de la position de la main gauche et de l’imprécision que cela rajouterait à l’accord.

D’ailleurs il est courant – bien que non systématique – qu’une partie des pupitres de vents, pour qui les contraintes logistiques sont très différentes de celles des cordes, préfèrent s’accorder sur un si bémol plutôt que sur un la. Lorsque c’est le cas, on entend donc le hautbois donner successivement deux notes différentes à chaque partie de l’orchestre.

Pourquoi 440 Hz ?

De même qu’on aurait pu prendre comme référence un mi bémol plutôt qu’un la, on aurait tout aussi bien pu établir que le la correspond à la fréquence de 441 Hz, ou bien 1 Hz ou encore 1 milliard de Hz. Et d’ailleurs, cette fréquence de 440 Hz n’a pas toujours été la norme en vigueur.

Jusqu’au XIXe siècle, il n’y a en fait pas de réelle référence commune de fréquence. D’ailleurs, le concept même de fréquence des sons n’a été découvert qu’au XVIIIe siècle. Autrefois (bien avant l’époque des téléphones fixes, pour vous dire si c’est ancien…), les instrumentistes s’accordaient donc entre eux selon d’autres principes. Par exemple on pouvait s’accorder sur la hauteur de la flûte dont la fabrication en un seul morceau imposait une hauteur non réglable, ou sur l’orgue qui, une fois fabriqué, ne peut plus vraiment ajuster la hauteur de ses tuyaux. Et de fait, la référence du la variait considérablement selon les régions, les orchestres ou les compositeurs.

Des études réalisées sur des instruments d’époque montrent ainsi que le la a pu s’étaler entre 330 et 560 Hz entre le XVIe et le XIXe siècle, avec une tendance assez généralisée à s’élever au cours de l’histoire. Le la de Mozart tournait aux alentours de 422 Hz, celui de Haendel à 423 Hz, celui de Verdi à 432 Hz. Le baroque vénitien (notamment Vivaldi) semblait se fonder sur 440 Hz tandis que les allemands (Bach, Telemann, …) privilégiaient un 415 Hz et les français (Couperin, Marin, Charpentier, …) un 392 Hz. Le diapason de l’Opéra de Paris a longtemps été à 449 Hz (diapason dit « de Berlioz »). Bref, un beau bazar !

La disparité des accords commence à poser de sérieux problèmes lorsque s’accroissent les échanges entre les musiciens qui se mettent à voyager de plus en plus d’un orchestre à l’autre à travers le monde. Par ailleurs, au XIXe siècle, les instruments sont de plus en plus fabriqués en série et exportés partout dans le monde suite aux révolutions industrielles. Si on rajoute à cela la question très spécifique des chanteurs pour qui chanter la même partition avec de gros écarts de diapason ne constitue pas tout à fait le même effort physique, la nécessité d’une uniformisation émerge de plus en plus dans les milieux musicaux.

Chronologiquement, Liszt et Wagner sont parmi les premiers à tenter cette uniformisation. Entre 1830 et 1840, le la 440 Hz entre ainsi progressivement en vigueur en Allemagne. En 1858, sous l’impulsion de Berlioz, le gouvernement français monte une commission de physiciens et musiciens – on y retrouve notamment Auber, Meyerbeer et Rossini – qui planchent environ un an pour établir un la à 435 Hz. En 1884, c’est Verdi qui obtient du gouvernement italien la réunion d’une autre commission musicale qui promulgue par décret que le la sera à 432 Hz. Ce décret, approuvé à l’unanimité par la commission, est toujours exposé au conservatoire Giuseppe Verdi de Milan.

Le problème est donc partiellement résolu. Partiellement seulement puisque les tentatives d’uniformisation se sont faites de manière assez locale, conduisant ainsi à une homogénéité relativement… hétérogène.

C’est seulement en 1939 que le problème du la est enfin considéré à une échelle internationale. Un collège d’experts est rassemblé à Londres et la Fédération internationale des associations nationales de standardisation décide que l’étalon sera désormais fixé à 440 Hz. La décision est entérinée en 1953 lors d’une conférence internationale tenue à Londres, et ce malgré les protestations des Français et des Italiens. Pour enfoncer le clou, la valeur de 440 Hz est inscrite en 1975 dans la norme internationale ISO 16:1975.

La « victoire » du 440 n’a pas manqué de susciter des théories complotistes assez farfelues, dont celle d’un coup d’état nazi, et d’innombrables articles, tous plus fantaisistes les uns que les autres, paraissent alors pour justifier que le 432 Hz serait une fréquence de vibration plus harmonieuse, biologique, astronomique et spirituelle. Le la 440 s’impose pourtant peu à peu à travers le monde, dans les salles de concert et dans la plupart des conservatoires (et dans les téléphones fixes).

Et aujourd’hui ?

Tout le monde joue-t-il à présent sur un 440 Hz réglé à la virgule près ? Et bien non ! Aujourd’hui encore, l’accord de l’orchestre peut varier selon le contexte en dépit de tous ces efforts de normalisation. Certes on est très loin du niveau de disparité d’il y a 400 ans. Mais de nombreux orchestres choisissent toujours volontairement de s’accorder à une hauteur différente selon le répertoire qu’ils jouent, en se fondant sur des volontés philologiques de retrouver les conditions et modes de jeu correspondant à l’époque des œuvres exécutées.

Il se murmure même que l’orchestre d’Oya Kephale ne joue pas non plus à 440 Hz. Mais chut, je ne vous ai rien dit …

 

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L’argument des Brigands

Acte I

Au cœur des montagnes italiennes, le chef de brigands Falsacappa a bien du mal à conserver son autorité. Il a beau procurer à ses hommes « des femmes et des liqueurs fortes », le faible profit de leurs expéditions exaspère même ses lieutenants, qui viennent exiger de lui une idée, un plan fructueux susceptible de refaire les finances de la troupe. Arrive la fille bien-aimée de Falsacappa, la belle et vaillante Fiorella (« Au chapeau je porte une aigrette… »). Elle vient faire part à son père des scrupules qui l’ont saisie depuis peu. Le père et la fille sont interrompus par le reste de la bande encadrant un jeune fermier : Fragoletto. Rançonné par les brigands la semaine précédente, celui-ci se présente devant Falsacappa pour demander la main de Fiorella. Pour obtenir l’assentiment du chef, il accepte de se faire bandit lui-même. Il doit cependant faire d’abord la preuve de ses qualités de voleur, et quitte le repaire accompagné des brigands. Restée seule avec Pietro, Fiorella empêche celui-ci de dévaliser un jeune homme égaré qui – elle l’ignore – se trouve être le prince de Mantoue. Pendant que Pietro part chercher des renforts, elle indique à ce jeune homme jugé « un peu bébête, mais gentil » le chemin à suivre pour s’enfuir avant le retour des brigands. Entre-temps, Fragoletto a intercepté un courrier de cabinet revenant d’Espagne et porteur d’une missive destinée au prince de Mantoue (« Falsacappa, voici ma prise… ») : outre un portrait de la princesse de Grenade, promise au prince, la valise contient une lettre rappelant à la cour de Mantoue sa dette de trois millions, que le prince devra remettre à la personne qui accompagnera la princesse. Falsacappa y voit une occasion en or. Il lui suffit de déguiser Fiorella en princesse, et de se faire passer pour l’ambassadeur en question : ainsi il mettra la main sur les trois millions sans coup férir. Après avoir remplacé le portrait de la princesse par celui de Fiorella, on relâche le courrier avec sa valise ; après quoi Fragoletto est solennellement admis dans la bande. Les rondes des carabiniers ne gênent pas longtemps les réjouissances des brigands : ceux-ci, avertis comme toujours par le bruit de leurs bottes, les voient venir de loin…

Acte II

À la frontière entre l’Italie et l’Espagne, l’aubergiste Pipo, secondé par sa femme et sa fille Pipa et Pipetta, attendent les voyageurs. Déguisés en mendiants (« Soyez pitoyables… »), les brigands prennent les aubergistes par surprise et les enferment à la cave avec tous leurs marmitons. Fiorella accepte de servir de doublure à la princesse, sous réserve que Fragoletto reçoive quinze pour cent des bénéfices et qu’elle puisse l’épouser au plus vite (« Duetto du notaire »). Les brigands se déguisent alors en marmitons, et accueillent l’ambassadeur de Mantoue : le baron de Campo-Tasso, escorté par le capitaine des carabiniers et ses hommes (« Nous avons, ce matin tous deux… »). L’ambassade subit le même sort que les aubergistes ; Falsacappa et ses trois lieutenants se déguisent en carabiniers, et Pietro en baron de Campo-Tasso. La princesse de Grenade fait son entrée sur ces entrefaites, avec sa suite : son page Adolphe de Valladolid, son précepteur, et le comte de Gloria-Cassis qui dirige l’ambassade (« Y a des gens qui se dis’nt espagnols… »). Les brigands les enferment sans façon dans les chambres préparées à leur intention. Alors que les brigands s’apprêtent à se déguiser en espagnols et à prendre la route de Mantoue, Pipo parvient à donner l’alerte aux grenadins. Les brigands mettent bas les masques, tenant en respect la princesse et sa suite. Les carabiniers, ivres du vin de la cave, se révèlent incapables d’arrêter Falsacappa et sa bande.

Acte III

À la cour de Mantoue, le prince fait ses adieux à ses maîtresses en vue de son mariage à venir (« L’aurore paraît… »). Il appelle son caissier et lui confie le soin de régler les dépenses de ces dames, et de préparer les trois millions dus à l’Espagne. Le caissier, fort embarrassé, explique en aparté que les caisses sont vides par sa faute (« Ô mes amours, ô mes maîtresses… »). Falsacappa arrive avec ses brigands et lui réclame les trois millions. Le caissier tente de sauver les apparences – et son poste – en offrant à Falsacappa mille euros contre son silence. Outré d’avoir été devancé par un « confrère », Falsacappa refuse et le dénonce au prince. La véritable ambassade espagnole survient ; Gloria-Cassis accepte, lui, de se taire pour mille euros. Les brigands sont démasqués, mais le prince honore sa dette envers Fiorella en amnistiant toute la bande. Les brigands jurent qu’on ne les y reprendra plus : ils se feront honnêtes hommes, et ainsi n’auront plus à craindre le bruit des bottes des carabiniers…

Accéder au livret complet

Venir voir les Brigands par Oya Kephale

Sources

  • Programme du spectacle Oya Kephale « Les Brigands », mai 2023

 

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Les Brigands – Introduction à l’oeuvre

Le Théâtre des Variétés en quête d’un nouveau succès

« Nous pouvons dès maintenant annoncer le titre du nouvel opéra-bouffe de MM. Henri Meilhac, Ludovic Halévy et Jacques Offenbach aux Variétés. Cette pièce aura pour titre : Les Brigands » annonce Le Figaro dès le 15 octobre 1867. Le directeur du Théâtre des Variétés a en effet commandé une nouvelle pièce à Offenbach, qui a enchaîné les succès au cours de cette année. Il faut dire que la deuxième Exposition Universelle de Paris, tenue cette même année, a amené dans la capitale un public pressé de découvrir ses pièces. Ainsi, au même Théâtre des Variétés, La Grande Duchesse de Gérolstein connaît un triomphe plus grand encore que Barbe-Bleue (1866), et s’apprête à égaler les quelque 200 représentations de La Belle Hélène (1864). La nouvelle version de Geneviève de Brabant, donnée au Théâtre des Menus-Plaisirs, reçoit également un excellent accueil, tandis que La Vie parisienne est représentée 265 fois entre 1866 et 1867 au Théâtre du Palais-Royal.

C’est dire si Offenbach est un compositeur courtisé des théâtres de cette époque, de même qu’Hortense Schneider, qui excelle dans les premiers rôles féminins de la plupart de ses œuvres. Cependant, le compositeur ne peut compter cette fois-ci sur sa cantatrice favorite, qui vient de suspendre son contrat avec le Théâtre des Variétés. Offenbach va néanmoins s’entourer d’autres chanteurs qui ont participé à ses précédents succès : le principal rôle masculin est confié à José Dupuis, ténor belge maintes fois applaudi aux côtés de la Schneider, en Pâris, Barbe-Bleue, Fritz ou Piquillo. La soprano Zulma Bouffar est quant à elle retenue pour le rôle travesti de Fragoletto, après avoir triomphé un an plus tôt dans le rôle de Gabrielle dans La Vie parisienne et du page Drogan dans Geneviève de Brabant. Dans le rôle du Caissier, Offenbach reprend Léonce, lequel avait déjà chanté Pluton dans Orphée aux Enfers.

Une pièce longue à écrire

Les atermoiements d’Hortense Schneider

Les Brigands sont espérés pour octobre 1868. Pourtant Le Figaro annonce encore le 10 janvier 1868 que « l’éditeur Colombier vient d’acheter la future partition d’Offenbach, aux Variétés, Les Brigands ou Le Sorcier». Une hésitation sur le titre qui en dit long sur l’impréparation de l’œuvre. Les retards s’enchaînent, et Hortense Schneider n’est pas sans responsabilité dans l’affaire. Elle se ravise au milieu de l’année pour reprendre son poste aux Variétés, ce qui incite son directeur à proposer dès que possible une nouvelle pièce qui puisse la mettre en avant. Offenbach met alors entre parenthèses l’écriture des Brigands pour s’atteler à celle de La Périchole, laquelle sera créée le 6 octobre 1868 et occupera la scène du théâtre de longs mois durant, retardant d’autant la création des Brigands.

Une collaboration tendue avec Meilhac et Halévy

Au cours de l’été 1869, Offenbach reproche à ses librettistes, en particulier à « ce paresseux de Meilhac »[1] de trop tarder à lui fournir le support de sa composition, au point qu’il se prend à les insulter dans une lettre le 14 septembre 1869 : « Filous, voyous, polissons, crapules, poètes de quatre sous, auteurs de bas étage ! ». Qui plus est, la goutte dont il est atteint ralentit son travail, alors qu’il doit parallèlement terminer l’écriture d’une autre pièce pour les Bouffes-parisiens, La Princesse de Trébizonde. Offenbach se veut toutefois rassurant envers ses librettistes : « Vous savez parfaitement que tant que vous ferez des pièces, je les mettrai en musique, très heureux de continuer une collaboration qui nous a donné tant de succès et qui a encore consolidé, au moins de ma part, l’amitié de vieille date que j’avais pour [vous] »[2]. En écrivant ces mots, Offenbach ne se trompe pas : le trio qu’il forme avec ses librettistes lui a assuré ses meilleures productions, qui figurent de nos jours encore parmi les plus jouées de tout son répertoire. Meilhac et Halévy, qui deviendront membres de l’Académie française quelques années plus tard, sont en effet des auteurs de génie, capables de produire des textes de qualité empreints de références aux œuvres littéraires et musicales de leur temps. Si l’on excepte leur dernier ouvrage commun, La Boulangère a des écus (1875), Les Brigands, dans leur version féérie produite en 1878, signent la dernière collaboration d’une trinité dont Offenbach s’amusait à dire : « Je suis sans doute le père, mais chacun des deux est mon fils et plein d’esprit ».

Pourquoi des brigands ?

Une superstition d’Offenbach ?

Le journal Le Gaulois du 9 décembre 1921 évoque une hypothèse avancée par Hortense Schneider : Offenbach était, comme beaucoup d’artistes de son temps, superstitieux. Or chacun de ses opéras-bouffes où apparaît le mot « brigand » avait été très bien accueilli  – on le retrouve fréquemment dans Barbe-Bleue ou La Périchole. La quête absolue d’un nouveau succès l’aurait alors motivé à en faire le sujet de son nouvel opus.

Le brigand italien, une référence classique au XIXe siècle

La seule explication sérieuse qui vaille est que Meilhac et Halévy aient tout simplement été tentés de puiser dans l’imaginaire du brigand, et particulièrement du brigand italien qui devient un thème très en vogue dans les arts au milieu du XIXe siècle. Dans la veine de la pièce romantique de Schiller (Les Brigands, 1782), de nombreux auteurs, peintres ou musiciens prennent pour motif l’univers italianisant des brigands d’une époque plus ancienne : costumes, scènes d’embuscades, confrontation avec les troupes papales, les dragons français ou encore les carabiniers. Le brigand italien devient alors une figure fantasmée, héroïsée et adoucie dont les aventures intriguent les sociétés européennes du XIXe. Après avoir parodié les mythes grecs dans Orphée aux Enfers et La Belle Hélène, les librettistes d’Offenbach se sont donc de nouveau plu à parodier les modes littéraires et musicales de leur temps.

Un pastiche des opéras-comiques d’Auber

Ce sont plus particulièrement les opéras-comiques de Daniel-François-Esprit Auber qui inspirent ici Meilhac et Halévy. Auber et son librettiste Eugène Scribe ont en effet  abondamment puisé dans cette représentation édulcorée du brigand entre 1830 et 1850. Leurs œuvres connaissent un grand succès à l’Opéra-Comique, dont l’orchestre comptait à cette période parmi ses violoncellistes un certain Offenbach. Il est plus que probable que ce dernier ait joué de telles pièces mettant à l’honneur des bandits méditerranéens. Ce sont en particulier les arguments de quatre opéras-comiques d’Auber qui serviront de matière première au livret de Meilhac et Halévy : Fra Diavolo (1830), La Sirène (1844), Les Diamants de la couronne (1841) ou encore Marco Spada (1852).

Dans Fra Diavolo, Scribe met en scène un chef de bandits italiens, également en prise avec des carabiniers. La scène où Fra Diavolo, sous l’identité d’un marquis, accueille dans une auberge ses confrères déguisés en pèlerins cherchant le gîte et l’aumône en rappelle une autre : celle du début de l’acte II des Brigands d’Offenbach, qui pénètrent dans l’auberge de Pipo cachés sous une cape en mendiant du pain.

Les faux-monnayeurs des Diamants de la couronne semblent aussi être des cousins éloignés des Brigands d’Offenbach. On retrouve d’ailleurs des similitudes entre les noms des protagonistes comme Barbarigo ou Campo-Mayor chez Auber, et Barbavano et Campo‑Tasso chez Offenbach, tandis que le duc de Popoli est remplacé par celui de Mantoue.

Le chef des contrebandiers de La Sirène, également très enclin à usurper différentes identités pour accomplir ses forfaits, a sans doute inspiré le plan de Falsacappa, lequel repose essentiellement sur une série de travestissements.[3] Le nom même de Falsacappa – littéralement, « fausse cape » – en dit long sur la propension du personnage à contrefaire son identité. C’est d’ailleurs sous la fausse cape d’un ermite capucin qu’il trompe la confiance des quatre jeunes femmes au début de l’œuvre.

Falsacappa reprend aussi les traits du personnage de Marco Spada, autre chef de bandits italien qui se cache sous l’apparence d’un baron. On apprend plus tard dans cette œuvre, également intitulée La Fille du bandit, qu’il est le père adoptif d’Angela, une fille à qui il ne peut rien refuser. Cette tendresse paternelle rappelle fortement celle de Falsacappa pour sa fille Fiorella, qui chante d’ailleurs « Je suis la fille du bandit » au début et à la fin de l’œuvre.

Ces éléments d’intrigue et ces péripéties permettent aux librettistes de présenter un récit dynamique et prenant, tout en étant parodique : comme l’écrit Jean-Claude Yon, « Leur pièce possède ainsi la perfection formelle d’un genre dont ils dénoncent par ailleurs toutes les conventions ». Est-ce le succès de cet ouvrage qui exhorte Meilhac et Halévy à reprendre le thème des brigands ? Après l’Italie, ils feront aussi une belle part aux contrebandiers d’Espagne en produisant le livret de Carmen de Bizet (1875).

Le Second Empire : une société de brigands ?

Habituellement prompt à brosser un portrait satirique de la cour impériale et de la société de leur époque, le trio Offenbach-Meilhac-Halévy paraît plus clément dans Les Brigands. La censure a d’ailleurs très peu touché au livret, qui n’en demeure pas moins osé. On songe en particulier au personnage du Caissier, coupable de détournement de fonds et de corruption, qui ferait référence au banquier Mirès ou aux frères Péreire, hommes d’affaires qui avaient conseillé Napoléon III. Plus largement, la lecture du livret permet vite de comprendre que les brigands ne sont pas seulement les bandits qui se cachent « dans la forêt sombre » mais aussi les gens de la cour et les financiers plus ou moins bien intentionnés. Dès le début de l’œuvre, l’un des lieutenants de Falsacappa se permet d’ailleurs cette comparaison bien sentie : « J’étais banquier, moi ; je me suis fait voleur, parce que j’espérais qu’il y aurait moins de travail et plus de bénéfice… c’est le contraire qui est arrivé. » La classe politique est tout autant brocardée par le Caissier, qui ose cette saillie : « Ils sont si ingrats, les gouvernements !… ils s’occupent si peu des intérêts des particuliers ! […] Heureusement que les particuliers s’en occupent, eux, de leurs intérêts ! » Après avoir abondamment raillé l’armée dans La Grande duchesse de Gérolstein, les auteurs récidivent avec ce chef des carabiniers encore plus ridicule que le Général Boum, et peu flatté aux côtés de « l’homme d’esprit » représenté par le baron de Campo-Tasso.

Meilhac et Halévy n’épargnent pas non plus la noblesse espagnole établie en France grâce aux faveurs de l’impératrice. Eugénie de Montijo n’avait en effet pas oublié « que l’Espagne est [son] vrai pays », comme le chante le Comte de Gloria-Cassis dans son couplet « Y’a des gens qui se disent Espagnols ». L’allusion est à peine voilée si on remplace « Mantoue » par « la France », lorsqu’il conseille la Princesse de Grenade : « Et quand vous aurez la puissance, Usez-en, c’est moi qui vous l’dis, Pour faire avoir de l’influence Aux gens de votre ancien pays ; Donnez-leur tout l’argent d’Mantoue Et tous les emplois importants… Si les gens d’ici font la moue, Les gens d’là-bas seront contents ». Déjà visée dans La Périchole, l’impératrice peut avoir ses raisons de ne pas porter Offenbach dans son cœur. Elle fait ainsi retirer le nom d’Offenbach de la liste de promotion au grade d’officier de la Légion d’Honneur, le 15 août 1870, au début de la guerre avec la Prusse. Cela étant, le livret des Brigands, comme celui de Barbe-Bleue ou de La Vie parisienne, n’égratigne pas seulement les puissants de l’époque mais bien toutes les classes sociales. On voit par exemple au début de l’acte II comment l’aubergiste Pipo s’y prend pour trafiquer les plats et les boissons qu’il sert à ses clients. « Il faut voler selon la position qu’on occupe dans la société », proclame Falsacappa, telle une maxime qui fait du brigandage un mode de vie tout à fait usuel. Sans vouloir dénoncer, cette « pièce totalement amorale présente le vol comme un principe qui structure toute la société ».[4]

Accueil et postérité

Un succès interrompu par la guerre de 1870

Avant même sa création, la pièce semble promise à un nouveau succès, comme nous l’apprend Le Figaro, le 29 novembre 1869 : « M. Offenbach est fort satisfait de l’exécution mais les artistes ne sont pas moins contents que lui, car, avec une unanimité admirable, ils ont fait au maestro une de ces ovations que l’on n’oublie pas. C’est vraiment d’un bon présage. » De fait, le public a fait montre d’un grand enthousiasme lors de la première le 10 décembre, comme le relève Le Figaro le 13 décembre : « Le premier acte des Brigands a décidé du succès de la pièce. Un fou rire s’est emparé des spectateurs à l’entrée des carabiniers ». En revanche, les deux actes suivants « sont traînants et un peu vides dans leur turbulence. » Le 12 décembre 1869, Le Ménestrel salue la prouesse de « l’infatigable Offenbach, suivi de ses Brigands » qui enregistre une « nouvelle victoire » après celle de La Princesse de Trébizonde, « la même semaine […] sur deux théâtres rivaux. Décidément le maestro Offenbach est l’enfant chéri de l’opérette. » Le théâtre des Variétés engrange également un chiffre d’affaires record de 5 501 francs le 12 décembre 1869 grâce aux Brigands, qui dépasse celui de La Grande Duchesse de Gérolstein. Pour remercier les interprètes des Brigands de ces succès, « le maestro Offenbach » les convie – aux côtés de ceux de La Princesse de Trébizonde – au Grand-Hôtel à « une fête gastronomique et chorégraphique dont il sera longtemps parlé dans l’histoire », comme l’écrit Le Figaro le 23 février 1870.

En province et à l’étranger

Les Brigands sont montés à Lille, puis à Bruxelles fin février 1870 et à Vienne (Die Banditen) au Theater an der Wien le 13 mars 1870. L’œuvre est aussi produite au jeune Théâtre provisoire de Prague (Bandité) et Offenbach se rend à Londres au cours de l’été 1871 pour assister à la création anglaise des Brigands. La même année, il dirige Los Brigantes au Théâtre de la Zarzuela à Madrid.

Reprises

Mais entretemps, la guerre a éclaté entre la France et la Prusse le 19 juillet 1870. Les Variétés osent tout de même une reprise des Brigands du 3 au 15 août 1870, entrecoupée de refrains patriotiques comme « la Marseillaise, le Rhin allemand et des strophes de circonstances ».[5] Il faut attendre la fin de la guerre, en janvier 1871 pour que les théâtres rouvrent, et ce n’est que le 2 septembre 1871 que la pièce est de nouveau montée à Paris, avec « un succès, plus grand, peut-être qu’à la première représentation ».[6]

La version « féérie »

À la tête du Théâtre de la Gaîté, Offenbach crée des « opéras-féeries », sorte d’opéras‑comiques grandioses, augmentés d’un chœur et d’un orchestre plus étoffés et de ballets, comme Le Roi Carotte (1872) ou Le Voyage dans la Lune (1875). Le succès de ce genre l’invite à reprendre ses anciens opéra-bouffes en transformant l’argument et en y ajoutant de nouvelles pièces, pour en faire des opéras-fééries. C’est d’abord le cas d’Orphée aux Enfers (1874) ou de Geneviève de Brabant (1875) puis vient le tour des Brigands. L’intrigue est modifiée : « Falsacappa acceptant le billet de 1 000 francs du caissier Antonio, on se prépare à célébrer le mariage du prince et de Fiorella lorsque arrive la véritable ambassade de Grenade. Un changement à vue transporte l’action sur la grand-place de Mantoue que borde un arc de triomphe. (…) Le cortège défile, spectacle agrémenté d’un ballet (…) et d’une cavalcade ».[7] Malgré un très bon accueil critique, cette deuxième version des Brigands ne sera jouée que 34 fois jusqu’au 9 février 1879. Elle sera aussi la dernière œuvre d’Offenbach à être donnée de son vivant au Théâtre de la Gaîté. En 1931, Les Brigands est le premier opéra-bouffe à entrer, non sans succès, au répertoire de l’Opéra-Comique, lequel s’était longtemps refusé à accueillir ce genre depuis l’échec de Barkouf d’Offenbach en 1860.

 
[1] Lettre à Ludovic Halévy, 24 juillet 1869 – Retour vers la suite du texte
[2] Ibid – Retour vers la suite du texte
[3] À noter que ce jeu de changement de costumes n’est pas sans rappeler une autre pièce du trio Offenbach-Meilhac-Halévy, La Vie parisienne, où les domestiques prennent la place de leurs maîtres et les gantières se font passer pour des femmes du monde – Retour vers la suite du texte
[4] Jean-Claude Yon, Jacques Offenbach, Paris, Gallimard, 2000, p. 391 – Retour vers la suite du texte
[5] Le Figaro, mercredi 17 août 1870 – Retour vers la suite du texte
[6] Le Figaro, dimanche 3 septembre 1871 – Retour vers la suite du texte
[7] Jean-Claude Yon, Jacques Offenbach, op. cit., p. 585 – Retour vers la suite du texte

Pour en savoir plus sur la musique des Brigands

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Rédaction de l'article