Fanny, l’autre Mendelssohn

Si le nom de Mendelssohn vous dit quelque chose, c’est sûrement que vous pensez à Felix. Compositeur renommé, ses œuvres sont connues à travers le monde. Pourtant, il n’est pas le seul Mendelssohn à posséder du talent et de la passion. Sa soeur aînée Fanny n’en est pas moins pourvue, mais c’est une femme, et qui dit femme dit, comme souvent, reléguée dans l’ombre et oubliée.

Un talent sacrifié

Les enfants Mendelssohn reçoivent une excellente éducation musicale. Felix et Fanny démontrent rapidement leur talent et leur passion. Mais si pour Felix, il peut s’agir là d’une carrière, d’un avenir, il n’en est pas question pour Fanny. À quatorze ans, elle joue tout Le Clavier bien tempéré de Bach de mémoire pour l’anniversaire de son père. Pourtant, celui-ci est formel : la musique ne sera jamais rien d’autre pour Fanny qu’un passe-temps, au mieux un argument en sa faveur pour lui trouver un bon mari. Au début du XIXe siècle, la musique n’est pas un métier pour les jeunes filles de bonne famille.

Fanny qui, à quinze ans, est une excellente pianiste et compose déjà avec enthousiasme, se voit donc interdire les concerts publics et la publication de ses compositions. Alors que son frère voyage, se produit, se perfectionne, elle doit apprendre le rôle et les devoirs traditionnels d’une femme. Et si elle n’abandonnera jamais ni la musique, ni la composition, celles-ci resteront longtemps pour elle ce qu’on leur impose d’être : des loisirs. Elle joue en privé du Bach, du Beethoven, et parfois ses propres compositions.

Empêchée de s’adonner pleinement à sa passion, elle se consacre à la carrière de son frère, dont elle est très proche.

La rencontre

Très jeune, Fanny rencontre le peintre Wilhelm Hensel. Ils se marient des années plus tard, en 1829, et elle est enfin libérée du joug familial. Son mari, contrairement à son père et à son frère, l’encourage à jouer, à composer, à publier ses œuvres.

En 1839, le couple part pour l’Italie et passe plusieurs mois à Rome. Cette expérience est libératrice pour Fanny : elle rencontre des artistes, peintres ou compositeurs, découvre les splendeurs de la Rome antique, commence enfin à s’affranchir du rôle qu’on lui a toujours demandé de jouer. Appréciée par ses pairs, comme Charles Gounod, pour son esprit, son talent de pianiste et ses compositions, elle prend confiance en elle et en sa musique.

Néanmoins, il faudra encore plusieurs années avant qu’elle ose enfin braver l’interdit familial et fasse publier ses compositions signées de son nom. En 1846, elle fait paraître plusieurs de ses Lieder, œuvres pour piano et œuvres vocales pour chœur. Hélas, elle n’aura pas le temps de profiter de sa nouvelle renommée car elle s’éteint en mai de l’année suivante, emportée par une crise d’apoplexie, à seulement quarante-et-un ans. Après sa mort, son époux continue à faire publier ses créations.

Mendelssohn VS Mendelssohn

Ni ses professeurs, ni son frère Felix ne s’y trompent : le talent de Fanny est connu de tous. Mais Felix partage les idées de son père sur la place de la femme dans la société. Pourtant, il aime tendrement sa sœur, apprécie ses capacités, se tourne vers elle pour qu’elle le conseille dans sa musique. Mais il ne l’encourage pas pour autant à poursuivre ses rêves, car pour lui elle n’a pas sa place dans le monde de la musique. Il contribue grandement à la maintenir dans l’anonymat.

Malgré les désirs de Fanny, Felix reste persuadé qu’elle ne peut ni ne veut être compositrice, puisqu’elle est femme. S’il refuse qu’elle publie officiellement sa musique, il fait paraître plusieurs morceaux de sa sœur sous son propre nom, mêlés à ses créations, avec l’accord de Fanny. Ils ont beaucoup de succès, autant que ses propres pièces, parfois davantage. En 1842, à Buckingham Palace, la reine Victoria réclame à Felix son Lied favori. Pas de chance pour lui, il s’agit d’une composition de Fanny, comme il l’avoue à la monarque. Cela ne suffit pas à le convaincre de laisser sa sœur partager ses compositions : elle peut, mais elle ne le doit pas. Que la musique de Fanny plaise au public n’y change rien.

Marqué par le décès prématuré de sa sœur, Felix s’accorde avec Wilhelm pour enfin faire paraître les œuvres de la défunte sous le nom de leur compositrice. Quelques-unes seulement, car le temps lui manque, puisqu’il meurt six mois seulement après son aînée.

Fanny Mendelssohn laisse derrière elle plus de quatre-cents pièces, dont certaines n’ont été publiées que cent quarante ans après sa mort.


Sources

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Psaume 42 de Mendelssohn : le Psaume des noces

À l’âge de 28 ans, Felix Mendelssohn commence la composition du Psaume 42, Wie der Hirsch schreit. Très tôt, il pressent que son œuvre sera réussie. “Un chœur et une partie soliste [dans le psaume] me rendent particulièrement heureux”, déclare-t-il à Ferdinand David, premier violon du Gewandhaus de Leipzig, en juin 1837.

 

“Cher Felix, dis-m’en plus sur ton psaume, Wie der Hirsch schreit (comme un cerf altéré cherche l’eau vive). Rée-t-il à 4 voix ou à 8, a cappella ou accompagné ?”
Lettre de Fanny Mendelssohn à son frère Felix, 10 juillet 1837.

 

Un voyage de noces en musique

En juillet 1836, à la faveur d’un remplacement en tant que chef de chœur, Felix Mendelssohn s’éprend de Cécile Jeanrenaud. Pour vérifier les sentiments qu’il éprouve à son égard, il s’absente et suit une cure à Schéveningue (Pays-Bas).

Les jeunes amoureux finissent par convoler en mars 1837 et gagnent Fribourg et la Forêt-Noire pour leur lune de miel. C’est dans ce cadre idyllique que le compositeur s’empare du texte biblique. 

Un texte protestant contrasté

Le Psaume 42, attribué aux fils de Coré1, est issu de l’Ancien Testament. Depuis la Réforme, il a été mis en musique par de nombreux compositeurs allemands, notamment par Bach. Issu d’une famille juive convertie au luthéranisme, Mendelssohn s’inscrit volontairement dans la ligne de ses coreligionnaires, en composant à son tour sur ce poème prêté à des révoltés. Les psalmistes prennent l’image d’un cerf altéré qui soupire après l’eau vive pour décrire le combat spirituel d’un croyant en proie au doute. Deux grands mouvements de l’âme se côtoient : d’un côté, le doute et la mélancolie, de l’autre l’espérance et la foi triomphante. Ces sentiments se renforcent mutuellement par le jeu du contraste. Ainsi la succession du récit angoissé Mein Gott, betrübt ist au chœur glorieux Harre auf Gott met en relief la tristesse du croyant esseulé.

Un psaume-cantate du XIXe siècle

Mendelssohn est marqué par les œuvres de Bach et de Haendel, qu’il a notamment chantées à la Singakademie2 de Berlin avec sa sœur Fanny. Le terme de psaume-cantate est souvent employé pour désigner ses psaumes, en référence à la structure des cantates baroques, composées de chœurs et d’airs introduits par des récitatifs. De même, l’emploi d’un hautbois obligé3 pour l’air Meine Seele dürstet nach Gott sonne comme un hommage au cantor de Leipzig. Mais plus encore que de Bach, le compositeur s’inspire de Haendel. En 1835, il se procure une édition en 32 volumes de son œuvre, et notamment des psaumes-cantates pour chœur et orchestre. On constate cette influence dans l’emploi des timbales et des cuivres sur la doxologie.

 


1 Coré est une figure de l’Ancien Testament, connu pour avoir mené une révolte contre Moïse et Aaron.

2 Fondée en 1791, la Singakademie de Berlin a pour vocation de conserver et de donner des représentations de la musique chorale sacrée du XVIIIe, et notamment de celle de Bach.

3 L’instrument obligé (obligato) est utilisé depuis l’époque baroque pour accompagner le chanteur, formant avec lui un duo. Le plus souvent, l’instrument figure l’âme du chanteur. Il ne peut pas être remplacé par un autre instrument, et sa partie ne peut être supprimée.

 


Felix Mendelssohn (1809-1847)

Psaume 42 pour chœur, solo et orchestre op. 42 Wie der Hirsch schreit

 

Chœur Wie der Hirsch schreit

Air Meine Seele dürstet nach Gott

Récitatif Meine Tränen sind

Air et chœur Denn ich wollte

Chœur Was betrübst du dich

Récitatif Mein Gott, betrübt ist

Quintette Der Herr hat des Tages

Chœur Was betrübst du dich

 

Composition : 1837-1838.

Création : le jour du nouvel an 1838, au Gewandhaus de Leipzig, pour la version en quatre mouvements ; le 8 février 1838 à l’occasion d’un concert de charité, au Gewandhaus, pour la version en sept mouvements, sous la direction du compositeur.

Effectif : soprano solo – chœur mixte – 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, 3 trombones – timbales – orgue – cordes

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Qui est Felix Mendelssohn ?

Quoi de commun entre le Psaume 42 et l’Ouverture du Songe d’une nuit d’été ? Entre les Variations sérieuses et la Symphonie italienne ? Entre la Symphonie « La Réforme » et les Romances sans paroles ? Dans la musique de Mendelssohn (1809-1847), la science du contrepoint et la solennité religieuse côtoient le pétillement, le lyrisme et la légèreté.

Itinéraire d’un enfant prodige

À l’âge de dix-huit ans, ce musicien aussi précoce que sa sœur Fanny avait déjà écrit deux chefs-d’œuvre : l’Octuor à cordes et l’Ouverture du Songe d’une nuit d’été, « ruissellement de jeunesse » dont s’émerveilla Schumann. Formé auprès de Carl Friedrich Zelter, fondateur de la Singakademie berlinoise, le jeune Felix tissa des liens étroits avec le répertoire ancien, qu’il contribua plus tard à diffuser. En 1829, l’exécution sous sa direction de la Passion selon Saint Matthieu de Bach fut un épisode marquant de sa carrière : l’œuvre n’avait jamais été jouée en public depuis la mort de son auteur.

Une œuvre au carrefour des styles

Bach fut d’ailleurs un modèle privilégié pour Mendelssohn, ce dont témoigne, outre les Préludes et fugues pour orgue, une œuvre chorale considérable : deux oratorios achevés, Paulus et Elias, et un grand nombre de motets et de cantates  — dont un Jesu meine Freude. Ces contributions majeures au répertoire sacré du XIXe siècle se doublent d’une œuvre instrumentale incontournable, que ce soit à l’orchestre, au piano, à l’orgue ou en musique de chambre. À la fois compositeur, chef d’orchestre et pédagogue, ouvert sur la culture littéraire et artistique de son temps, Mendelssohn laissa une œuvre radieuse, à la croisée du romantisme et de l’équilibre classique.

 


Sources 

  • Larry Todd, « Mendelssohn (-Bartholdy), (Jacob Ludwig) Felix », Grove Music Online, 2001, consulté le 25 novembre 2023.
  • Brigitte François-Sappey, Felix Mendelssohn. La lumière de son temps, Paris, Fayard, 2008.

 

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Symphonie n°1 de Beethoven : la première d’entre-elles

Beethoven dédie sa symphonie au baron Van Swieten, l’un de ses premiers protecteurs à Vienne, mélomane et ami de Wolfgang Amadeus Mozart, ainsi que de Joseph Haydn. Le public viennois accueille positivement cette symphonie, n’y opposant que quelques critiques négatives. Ces dernières reprochent au compositeur son style trop « militaire », ainsi que les étonnantes libertés qu’il se permet déjà de prendre avec les codes de l’époque.

 

Les premières mesures de la symphonie présentent une introduction lente, qui, au lieu d’affirmer la tonalité principale comme pourrait l’attendre le public, créent une instabilité tonale et suggèrent trois tonalités successives, fa, do et sol. Puis, cette introduction lente se stabilise enfin en do, et déroule une mélodie calme et tendre.

L’Allegro qui suit, de forme-sonate1, se compose d’une exposition à deux thèmes : un premier, très rythmique, donné aux cordes, et un second, plus mélodique, qui déploie un jeu de questions/réponses entre les cordes et les bois. Le développement, très modulant, se construit autour du premier thème. Puis, la réexposition donne à nouveau à entendre les deux thèmes, avant de se terminer par une coda.

L’Andante cantabile con moto, de forme-sonate, comme l’allegro précédent, évoque sans peine le deuxième mouvement de la Symphonie n° 40 en sol mineur de Mozart. Son premier thème nous présente un fugato : les instruments entrent successivement sur un motif léger, émaillé de rythmes pointés. Le second thème diffère peu du premier, mais emploie le ton de la dominante. On y retrouve l’articulation de deux notes liées dans un intervalle ascendant, les rythmes pointés et la légèreté des croches, tantôt piquées tantôt liées. L’originalité de ce mouvement réside dans l’utilisation des timbales dans la codetta, qui effectuent un très discret ostinato sur le rythme pointé. Le développement se base sur l’ostinato rythmique, repris par les cordes. Un jeu de questions-réponses s’instaure alors entre les bois, puis entre les cordes et les vents. La réexposition reprend les deux thèmes : le premier, légèrement varié avec un contrechant aux violoncelles, puis le second, cette fois dans la tonalité principale. Enfin, la coda fait entendre une dernière variation du premier thème.

Le troisième mouvement porte  l’indication menuetto sur la partition, mais son tempo très vif annonce davantage un scherzo2. Beethoven n’emploie d’ailleurs plus par la suite le terme de menuetto. Un peu plus éclairci dans ses timbres, le trio central du mouvement, présente un second scherzo, enchâssé dans le premier, durant lequel les interventions volubiles des violons répondent aux appels pastoraux des vents. Enfin, après un Da Capo (reprise depuis le début du menuet), le quatrième mouvement suit, sans interruption.

Ce dernier débute par une introduction lente, où s’opposent la puissance d’un accord parfait de sol majeur, joué par tout l’orchestre, et les gammes hésitantes des violons, d’abord courtes, puis de plus en plus complètes. La dernière gamme, jouée intégralement, sert de base à l’Allegro final, espiègle et enjoué, de forme‑sonate. La réexposition se conclut par deux points d’orgue interrogatifs ; puis, s’ensuit une coda reprenant le motif principal, assorti d’une marche joyeuse aux hautbois et aux cors.


1 Le terme forme-sonate désigne une forme musicale en 3 parties : exposition, développement, réexposition. Son intérêt se trouve dans ses thèmes contrastés ainsi que leur entremêlement dans le développement.

2 Héritier du menuet, le scherzo est une forme musicale à 3 temps, légère et vivace. Il est suivi par un trio à 3 temps, avant la reprise du scherzo. Là où le menuet se veut dansant, le scherzo se veut joueur.


Adagio molto – Allegro con brio

Andante cantabile con moto

Menuetto. Allegro molto e vivace

Adagio – Allegro molto e vivace

 

Composition : entre 1799 et 1800.

Création : le 2 avril 1800 à Vienne, sous la direction du compositeur.

Effectif : flûtes, hautbois, clarinettes et bassons par deux, cors et trompettes par deux, timbales, cordes.

Durée : environ 27 minutes.

 


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Qui est Ludwig van Beethoven ?

Né à Bonn en décembre 1770, Ludwig van Beethoven est forcé dès son plus jeune âge à s’entraîner au piano plusieurs heures par jour. Son père, musicien médiocre, a détecté très tôt le talent de son fils, et est bien décidé à le voir suivre le chemin tracé quinze ans plus tôt par le célèbre Mozart.

Vienne

Beethoven rencontre Mozart lors de son premier voyage à Vienne en 1787. Après une suite de deuils familiaux, il n’y revient qu’en 1792 pour étudier avec Joseph Haydn. Durant ses études dans la ville impériale, il se fait connaître comme pianiste virtuose et improvisateur de génie, avant de publier ses premières compositions.

Révolutions musicales et idéologiques

Inspiré par la Révolution française, Beethoven adopte des idées libérales qui le guideront aussi à travers son approche de la musique. Bousculant les codes musicaux de l’époque, il se détache de ses premières influences, comme Haydn ou Mozart, et innove, notamment avec ses symphonies. Son œuvre représente la transition entre le classicisme et le romantisme.

Surdité

Dès l’âge de 26 ans, Beethoven commence à prendre conscience d’une perte d’audition progressive, qui finit par le laisser complètement sourd. Malgré ce handicap, Beethoven ne cesse jamais de composer : assis par terre devant un piano dont il a scié les pieds, il continue de vivre la musique grâce aux vibrations qu’il ressent à travers le sol.

Fréquemment malade, il finit par s’éteindre à Vienne en 1827. Il laisse derrière lui une musique qui a ouvert la voie à de nombreux autres compositeurs, tels Brahms, Schubert et Wagner.

 

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« Jesu, Meine Freude » de Bach, entre sobriété et génie musical

Créé à Leipzig en 1723, le motet Jesu, meine Freude est un jeu subtil entre la sobriété de la liturgie  luthérienne et le génie musical de Jean-Sébastien Bach. Tout part d’un cantique luthérien du XVIIe siècle, écrit par Johann Crüger et chanté par l’assemblée dans les temples protestants. Le motet de Bach est une succession d’harmonisations différentes de ce choral tout simple, ainsi transfiguré en un monument musical remarquablement charpenté. 

 

“Sans Bach, la théologie serait dépourvue d’objet, la Création fictive, le néant péremptoire. S’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu.”
Cioran, Syllogismes de l’amertume.

 

Une harmonisation virtuose de la simplicité liturgique

Jesu, meine Freude est une prodigieuse harmonisation sans cesse recommencée du choral luthérien, que l’on entend de façon récurrente, porté par les sopranos 1, tandis que les autres voix brodent et enrichissent merveilleusement la pureté initiale du motif. 

Bach a par ailleurs choisi de transformer le choral, forme musicale éminemment épurée, en motet. Le motet trouve ses origines médiévales dans la simplicité du chant grégorien mais n’a cessé de se complexifier au fil de l’histoire de la musique, en intégrant peu à peu des voix supplémentaires, ayant chacune leur rythmique et leur texte propre. Pour comprendre la richesse du motet, on peut se figurer en peinture un ensemble de scènes différentes superposées sur une même toile de façon à ce que chaque scène soit identifiable indépendamment des autres mais que l’œuvre dans son ensemble conserve sa cohérence. À l’époque baroque, il est ainsi devenu une forme musicale très riche, qui permet aux compositeurs d’exercer leur maestria

Dans cette grande densité musicale, on retrouve pourtant des éléments rappelant la simplicité initiale de la forme, à laquelle Bach reste attaché. Il fait par exemple souvent le choix d’une musique figurative, qui exprime le message de son texte. Ainsi, dans le 5e mouvement Trotz dem alten Drachen, les basses illustrent les mots “tobe” (“enrage”) et “brummen” (“grondent”) par de vigoureux mélismes dans les graves, donnant ainsi à entendre la tempête du combat spirituel. L’unisson soudain des cinq voix sur le “ich steh hier und singe” (“je me tiens ici, et je chante”) fait entendre la fermeté et la cohésion du chœur – image des fidèles luthériens – face aux attaques du monde. Cet équilibre entre la simplicité du motif et la richesse de la composition fait tout le génie de l’œuvre.

Deux textes en dialogue : un enrichissement du message spirituel

Le choral de Crüger, composé en 1653, met en musique un poème de Johann Franck, Jesu, meine Freude, véritable déclaration d’amour du croyant à Jésus, qu’il chante être sa joie et son soutien face aux épreuves et à la vacuité de l’existence. Le poème est composé de six strophes, que Bach reprend successivement dans les 1er, 3e, 5e, 7e, 9e et 11e mouvements de l’œuvre. Le poème commence et finit par une adresse directe à Jésus pour lui exprimer son amour et sa confiance. Les quatre strophes intermédiaires évoquent l’épreuve des maux terrestres, que le poète affronte d’abord dans la colère et le combat, puis traverse avec une certaine douceur apaisée, que Bach met magnifiquement en musique dans le Gute Nacht, o Wesen. Le croyant s’unit plus fortement à Jésus dont il redit en apothéose finale qu’il est toute sa joie.

Dans son motet, Bach a choisi d’étoffer le cheminement spirituel du texte en y intercalant des extraits de l’épître de Saint Paul aux Romains (VIII 1-2; 9-11), qui affirme la nature spirituelle de l’homme, créature de Dieu et appelé à se libérer de l’emprise de la chair. Cette glose permet de renforcer le message du choral, et de servir l’office des funérailles pour lesquelles l’œuvre a été composée : le croyant est réaffirmé comme libre face aux forces du mal dans la mesure où il s’unit à Dieu. 

Une architecture finement charpentée

Pour structurer son œuvre, Bach ne s’est pas contenté d’alterner deux textes distincts : les onze mouvements obéissent à une architecture symétrique autour du mouvement central de fugue, Ihr aber seid nicht fleischlich. Au choral initial (1) répond le choral final (11), au trio de voix hautes (4) répond celui de voix basses (8), et au chœur Es ist nun nichts (2) répond le chœur So nun der Geist (10), qui reprend quasiment les mêmes motifs musicaux. Toute la structure du motet met donc en valeur le message central de la fugue : “Mais vous, vous ne vivez pas selon la chair, mais selon l’Esprit”. 

Petit clin d’œil symbolique, le motet suit donc une structure en chiasme. Le chiasme évoque la lettre grecque Chi (χ), qui est aussi la première lettre du mot “Christ”. Selon Katherine R. Goheene, cette structure chiastique symbolise de façon intentionnelle le Christ dans la métaphysique musicale de l’époque. 

C’est donc par une architecture finement construite que Bach décline et sublime la simplicité du cantique luthérien.

 


Johann Sebastian Bach (1685-1750)

Jesu, meine Freude (BWV 227)

  1. Choral Jesu, meine Freude
  2. Chœur Es ist nun nichts
  3. Choral figuré Unter deinen Schirmen
  4. Trio Denn das Gesetz
  5. Chœur Trotz dem alten Drachen
  6. Fugue Ihr aber seid nicht fleischlich
  7. Choral figuré Weg mit allen Schätzen
  8. Trio So aber Christus in euch ist
  9. Chœur Gute Nacht, o Wesen
  10. Chœur So nun der Geist
  11. Choral Weicht, ihr Trauergeister

Composition : vraisemblablement par morceaux, à diverses époques, et finalisé à la fin des années 1720.

Création : le 18 juillet 1723, à la Nikolaikirche de Leipzig, à l’occasion des funérailles de Johanna Maria Kees, la fille du recteur de la Thomasschule, où Bach venait d’être nommé Thomaskantor. Il s’agit donc d’un motet funèbre.

Effectif : chœur à 5 voix (SSATB), avec une alternance de pièces à 3, 4 ou 5 voix.

 


Sources

 

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Qui est Jean-Sébastien Bach ?


Qui est Jean-Sébastien Bach, ce compositeur allemand, né à Eisenach à la fin du XVIIème siècle, mort à Leipzig le 28 juillet 1750, à l’âge de 65 ans ? L’homme aux mille compositions. Bach, le prolifique, le pilier de la tradition musicale baroque !

Son enfance

Dernier de huit enfants, Jean-Sébastien Bach est baptisé dans la tradition luthérienne. Son père est un organiste et un violoniste de talent. Il est élevé par son frère aîné, après la mort de leurs deux parents quand il avait  10 ans. A l’âge de 15 ans, doté d’une bourse, il prend son indépendance en intégrant la manécanterie de Lunebourg. Il y apprendra l’orgue, le clavecin et le violon.

Profession organiste

A 18 ans, il est employé comme violoniste d’un orchestre de chambre, puis accepte un poste d’organiste à Arnstadt, où il se forme à la technique du contrepoint musical. Quatre ans plus tard,  il devient organiste titulaire à Mühlhausen, en Thuringe et y compose sa première cantate. 

De 1708 à 1717, Guillaume II, duc de Saxe-Weimar en fait son organiste et son premier violon soliste. Bach se perfectionne dans l’écriture d’œuvres en  alternance solo-tutti. Appelé à la cour du roi de Pologne à Dresde, il préfère rester auprès du duc de Weimar qui double sa rétribution

Le beau-frère du duc, le prince Léopold d’Anhalt-Köthen, lui propose un poste de maître de chapelle. C’est le  poste le plus prestigieux pour un organiste ; il sera propice à l’écriture des plus grandes œuvres du compositeur, dont les six concertos brandebourgeois. Pourtant, il doit quitter Weimar pour Leipzig, deuxième ville de Saxe, où il devient responsable de formation musicale. Il y séjourne jusqu’à sa mort et y compose sa Passion selon Saint Jean et sa Messe en si mineur. Il perd la vue 5 ans avant sa mort. 

Jean-Sébastien Bach eut  20 enfants de ses deux mariages. Dix moururent en bas-âge, mais quatre de ses fils devinrent compositeurs à leur tour.

 

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La musique classique, d’accord, mais… et les femmes, là-dedans ?

Quand on parle de musique classique, particulièrement de compositeurs et de chefs d’orchestres, on entend surtout des noms d’hommes. En fait, on n’entend pratiquement que ça, comme si la musique classique était un club pour gentlemen anglais du XIXe siècle. Mais pourquoi ? La femme est-elle allergique à la musique, comme le vampire au soleil ? Que nenni. Le problème, comme souvent, se situe chez… les hommes.

Une brève histoire des femmes dans la musique

L’invisibilisation des femmes au cours de l’histoire ne date pas d’hier, et elle n’est pas cantonnée au domaine de la musique. L’histoire est principalement écrite par des hommes, pour des hommes, dans un patriarcat confortable. Pour celles et ceux qui pensent que j’exagère, je vous invite à aller vous renseigner sur certains sujets oubliés, comme les chevaleresses, par exemple.

Dans la musique, comme partout, les femmes ne font pas ce qu’elles veulent. Pendant de nombreux siècles, elles n’ont même pas le droit de chanter à la messe, l’Église le leur interdisant. La musique est là pour exalter le sentiment religieux, alors des femelles ? Avec des voix tentatrices et des pensées impures ? Surtout pas ! Après le serpent, on a compris, on ne leur confie plus rien d’importance, à part la tenue de la maison et l’éducation des jeunes enfants. Après, il y a bien les trobairitz en Occitanie, ou les troubadouresses, mais même Wikipédia n’a pas grand chose à dire sur la place des femmes dans l’histoire de la musique, parce que, n’est-ce pas, qui est-ce que ça pourrait intéresser alors qu’on a tant de grands compositeurs ?

Non, globalement, les femmes sont là pour servir de muse, pas pour créer, merci bien. Et ça vaut pour tous les arts, pas uniquement la musique. Si madame voulait bien se tenir tranquille, là, être belle et se taire ? Merci, ça serait gentil, il faut que monsieur se concentre. Parce que tout le monde sait que le génie créatif se trouve dans la prostate, et pour communier avec sa prostate, rien de mieux que le silence et la vision d’une jolie femme.

À la Renaissance, assez ironiquement, alors que le monde des arts s’étend et que l’humanisme apparaît, les droits des femmes reculent. Elles ne sont plus rien d’autre que la propriété de leur père, puis de leur mari. Il devient encore plus difficile pour elles de sortir du cadre qu’on leur impose. Aux périodes baroque et classique, les femmes renouent avec la musique, mais uniquement dans les limites qui leur sont données. Elles ne peuvent jouer que de certains instruments, dans certains lieux, dans certaines circonstances, et certainement pas composer. En tout cas, pas pour le public. L’invention est un travail d’homme, une distraction malvenue chez les femmes.

Pourtant, malgré tout, certaines femmes ont réussi à faire ce qu’elles aimaient, ont bravé les interdits et osé jouer et composer, en dépit des restrictions que leur imposait la société.

Les compositrices, oubliées de l’Histoire

Parce que oui, des compositrices, il y en a eu, il y en a, et il y en aura toujours (enfin, on espère, hein). Et si la plupart ont été oubliées, reléguées au néant car jugées sans valeur, certaines sont parvenues jusqu’à nous. Des noms qui n’ont pas la reconnaissance d’un Mozart ou d’un Chopin, mais qui n’en comptent pas moins.

Si on remonte à l’Antiquité, Sappho représente les poétesses et musiciennes de l’époque. Sa musique, aujourd’hui perdue, était faite de poèmes et d’instruments à cordes, qui rythmaient des odes à Aphrodite, déesse de l’amour. Mais comme il paraît qu’elle préférait les filles, on l’a vite rangée sous le tapis.

Hildegarde Von Bingen (1098-1179), abbesse, voyante, naturaliste, guérisseuse, musicienne et poétesse, a beaucoup apporté à la musique religieuse et à la médecine. Mais bon, le plus important, c’est qu’elle ait découvert les propriétés du houblon, non ? La bière, y’a que ça de vrai.

Maddalena Casulana (1544-1590) est la première compositrice à être publiée. Elle chante, joue du luth et compose des madrigaux. Pour prouver qu’en plus du talent, elle a la classe, elle cacedédi (dédicace en verlan) son premier livre de madrigaux à Isabelle de Médicis en ces termes :  “[Je] veux montrer au monde, autant que je le peux dans cette profession de musicienne, l’erreur que commettent les hommes en pensant qu’eux seuls possèdent les dons d’intelligence et que de tels dons ne sont jamais donnés aux femmes.”

On peut aussi parler d’Hélène de Montgeroult (1764-1836). Excellente interprète de piano-forte, exceptionnelle improvisatrice, grande pédagogue, elle est la première femme à enseigner au Conservatoire de Paris. Elle compose, mais on préfère se souvenir d’elle comme d’une enseignante, rôle qui convient mieux aux femmes, n’est-ce pas ?

Beaucoup d’autres femmes ont encore marqué l’histoire de la musique, comme Béatrice de Dié, Blanche de Castille, Elisabeth Jacquet de la Guerre, Louise Farrenc, Clara Schumann, Alma Maria Mahler, Pauline Viardot, Mel Bonis, Lili et Nadia Boulanger, Camille Pépin ou encore Fanny Mendelssohn (mais nous y reviendrons…).

Mais du coup, aujourd’hui, ça va mieux ?

Non non, rien n’a changé, tout tout a continué !

Bon, d’accord, ça va quand même un peu mieux, ok. Mais ça ne veut pas dire que tout va bien. Parce que des millénaires de sexisme ne s’effacent pas en quelques décennies. Qu’elles soient compositrices, cheffes d’orchestres, chanteuses ou instrumentistes, les femmes sont toujours bien moins représentées que les hommes dans la musique, classique ou non. Et si les nombres ne sont plus aussi inégalitaires qu’avant, les programmations, elles, restent en très nette faveur des hommes.

Si ça vous intéresse d’approfondir le sujet, voici une étude de l’état des lieux de la présence des femmes dans la filière musicale du Centre National de la Musique.

Les compositrices peinent toujours à se faire un nom, les cheffes d’orchestres représentent un très faible pourcentage dans le métier, les chanteuses sont moins bien payées que les chanteurs et les instrumentistes femmes sont encore souvent cantonnées à certains types d’instruments considérés comme plus féminins… et ce ne sont que quelques exemples. Parce que les mentalités évoluent lentement et que les inégalités hommes-femmes sont encore bien présentes, n’en déplaise à celles et ceux qui ne comprennent pas pourquoi les femmes se plaignent encore alors qu’elles ont plein de droits !

La musique classique, en particulier, est le territoire des hommes depuis si longtemps qu’il est difficile pour les femmes de s’y faire un chemin.

Bien sûr, ce n’est pas vraiment de la faute de la musique. Tant que la société restera perchée sur les restes du patriarcat en s’y accrochant désespérément, il sera difficile d’atteindre une vraie égalité.

Pour l’instant, il est plus important de s’émerveiller qu’une femme ait réussi à faire quelque chose que de mettre en avant et valoriser son nom. Parce que le plus impressionnant, c’est qu’une femme y soit arrivé. Savoir qui elle est, c’est très secondaire. C’est marrant, ce n’est jamais le cas avec les hommes. Et si vous ne me croyez pas, une femme a pourtant sa page Wiki, elle aussi.


Sources 

Illustration de l’article : Laurent de La Hyre, La muse Euterpe, allégorie de la Musique, New York, Metropolitan Museum of Art, 1648


Rédaction de l'article

 

La grande histoire de l’opérette

Cocorico! Broadway est français !
Le trait est quelque peu grossi (que ne ferait-on  pas pour capter l’attention de son lectorat !), mais la comédie musicale a en effet une origine française, avec son cousin et ancêtre : l’opérette ! 

Petite généalogie de l’opérette 

Si Offenbach est le premier nom qui vient en tête en évoquant l’opérette, ses origines remontent  bien avant la naissance de cette star des théâtres de boulevard.

Le trouvère Adam de la Halle serait, au XIIIe siècle, l’un des premiers à écrire ce genre de bouffonneries pastorales et pittoresques mêlant théâtre et musique, un ancêtre éloigné notre opérette en somme.

Au XVIIe siècle, Molière et Lully surent entretenir des divertissements légers de cour dans leurs comédies-ballets. 

Au XVIIIe apparaît enfin un cousin proche de l’opérette. Des pièces théâtrales inspirées par l’opera-buffa italien, satiriques, burlesques, ornées de refrains entêtants, sont  alors jouées dans les foires de Saint-Germain, de Saint-Laurent et de Saint-Ovide. C’est la naissance de l’opéra-comique, rapidement soutenu par les penseurs des Lumières qui condamnent par la même occasion le sérieux – jugé pompeux – des compositeurs baroques de « drames lyriques ornés de machines et de danses ». 

Attention : l’opéra comique n’est pas pour autant toujours drôle (frauduleux comme nom, n’est-ce pas?) ! Porté par les Lumières, il allie encore souvent comique et observation critique, ironique, de sujets sérieux de l’époque. Des passages parlés permettent d’ailleurs de s’adresser au public en aparté. Un exemple pour vous convaincre de la supercherie qui se cache derrière le terme « opéra comique »? La fin de Carmen, n’en déplaise à Bizet, n’est pas des plus tordantes…

Et pour cause : le terme comique dérive du latin comicus « qui a trait au théâtre, aux comédiens ». Au départ, il exprime donc le fait que ces pièces soient en partie parlées, en faisant un genre à mi-chemin entre opéra et théâtre. L’aspect humoristique d’une pièce est alors plutôt exprimé par le terme d’opéra-bouffe.

 Il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour que l’opérette telle que nous la connaissons naisse en France.  Fatigué par les révolutions passées, par les changements de gouvernement du Second Empire et par une industrialisation de plus en plus intensive, le public parisien, toutes classes sociales confondues, avait grand besoin de ce divertissement. Des compositeurs comme Florimond Ronger alias Hervé, père de l’opérette, suivi par Offenbach, son ami et rival, exportent ces excentricités musicales parisiennes en Europe (à Vienne notamment) et remplissent les salles des théâtres du Châtelet, des Champs-Elysées, des Variétés, de la Gaîté Lyrique…

Place aux choses sérieuses ?

L’aube du XXe siècle, avec sa Grande Guerre, brise le délire euphorique et parisien des « cafés-concerts » de boulevard. Les théâtres cités plus hauts deviennent des lieux sérieux, dédiés aux concerts sérieux, lors desquels se joue de la musique sérieuse, composée par des compositeurs sérieux. Quelques-uns de ces compositeurs (Messager, Poulenc…) se prêtent cependant encore avec amusement à la composition d’opéras plus légers. 

Outre-Atlantique, l’opérette inspire la comédie musicale américaine (Broadway nous doit donc effectivement une fière chandelle), avant que celle-ci ne se détourne finalement de ses origines classiques et françaises pour embrasser les nouvelles formes de musiques,notamment le jazz. 

Dans l’entre-deux guerres, le pays de l’aïoli et du pastis s’empare de l’opérette et en fait un divertissement provençal et provincial.

Arrive une Seconde Guerre mondiale, mais l’opérette tient et connaît un nouveau et dernier souffle entre les années 50 et 60, avec des chanteurs comme Luis Mariano (si si, vous connaissez forcément le chanteur de « Mexiiiiii-cooo »!).    

Aujourd’hui, pour vivre ce genre de divertissement, il faut assister à des représentations de ces œuvres du passé.

Mais souhaitons que l’opérette vive toujours, car il est vital de rire en musique et d’écouter de la musique en riant !

 

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Pourquoi Oya Kephale ne joue que des œuvres d’Offenbach ?

Il est une question que les habitués des productions d’Oya Kephale finissent souvent par se poser, après avoir assisté à deux, trois, voire dix opéras-bouffes montés par notre troupe : 

“ – Mais vous ne jouez que du Offenbach ? Jamais d’autres compositeurs ?”
“- Pourquoi rejouez-vous les mêmes opérettes année après année ?”
“- Il y a des opérettes moins connues que vous pourriez jouer !”

 Ces questions font hélas souvent abstraction de la moitié du programme d’Oya Kephale, et entretiennent l’idée reçue selon laquelle notre troupe ne jouerait que du répertoire offenbachien. 

Oya Kephale, ce ne sont pas que des opéras-bouffes, mais aussi des concerts d’autres types de musique.

Eh oui, à chaque mois de décembre, le chœur et l’orchestre jouent un programme mettant à l’honneur différents compositeurs, souvent du XIXe siècle, avec dernièrement Charles Gounod, César Franck, ou Camille Saint-Saëns. Mais des œuvres d’autres époques, allant de la Renaissance (Motets de Monteverdi) à la fin du XXe siècle (Silouans song d’Arvo Pärt), ont également été jouées à l’occasion de ces concerts.

Et Offenbach n’y tient une place que très minoritaire : c’est en effet seulement lors des éditions de 2010 et de 2015 que des extraits de quatre de ses œuvres (lyriques) furent interprétés : 

  • Sponsa Dei, pour chœur et orchestre, extrait de la musique de scène du drame La Haine, de Victorien Sardou.
  • Les Fées du Rhin, Ouverture pour orchestre, et Marche funèbre pour orchestre et chœur de femmes.
  • “Hommage à Jacques Offenbach” pour solistes, chœur et orchestre,
      d’après l’Apothéose des Contes d’Hoffmann.

Toujours est-il que la troupe prend un grand plaisir à travailler ces œuvres de décembre, qui permettent d’élargir la pratique de chacun des musiciens à d’autres répertoires bien différents des opéra-bouffes d’Offenbach.  Et ces concerts sont aussi l’occasion de mettre en avant des pièces moins connues, voire rarement jouées, comme La Messe des anges gardiens de Charles Gounod, ou le Concerto pour flûte de Pleyel.

Les opérettes de mai : 99 % Offenbach

Il faut en revanche bien admettre que l’autre moitié du programme annuel d’Oya Kephale fait la part belle à Jacques Offenbach, avec douze de ses opéra-bouffes ou opéra-fééries, joués, rejoués – et parfois rerejoués ! – entre 1995 et 2023 !

Une seule exception doit être relevée, avec la création en 2004 d’un opéra-comique original, Merlin ou la nuit des métamorphoses. Composée par le directeur de la troupe de l’époque, Yannick Paget, sur un livret de Côme de Bellescize, cette œuvre signe néanmoins une parenté avec Offenbach, croisée avec celle de Bernstein. Elle propose en outre l’association audacieuse des influences de l’opérette, de la comédie musicale et du théâtre shakespearien.

Mais Offenbach reste bien le compositeur fétiche de la troupe, laquelle ne fait après tout que respecter l’héritage laissé par ses fondateurs, qui avaient démarré l’aventure avec la production de La Belle Hélène en 1995. Cette œuvre maîtresse du répertoire offenbachien a durablement imprégné l’identité de la troupe, à la fois nominale et visuelle. 

La pomme taillée en forme de cœur est en effet un clin d’œil à la célèbre pomme d’or de L’Illiade, élément déclencheur de l’enlèvement d’Hélène par Pâris, qui fonde l’intrigue de l’opéra-bouffe d’Offenbach. Ce fruit, et ses influences sur les amours humaines, est par ailleurs repris dans d’autres de ses œuvres comme Le Voyage dans la Lune.

La Belle Hélène sera ainsi jouée trois fois dans l’histoire de la troupe : après la première de 1995, une seconde en 2002 et une troisième à l’occasion de ses 20 ans en 2015. Mais ce sera aussi le cas de La Périchole, de La Vie parisienne ou encore des Brigands. Ces différentes reprises posent alors la question de l’inépuisabilité du répertoire offenbachien : la troupe a-t-elle fait le tour des opérettes de ce compositeur ? Pourquoi continuer à jouer les mêmes pièces ? La troupe sacrifierait-elle tant à son identité en dérogeant à la “règle Offenbach” ?

L’opéra-bouffe offenbachien, un format idéal pour la troupe comme pour le public

Si le rapport identitaire à Offenbach n’est pas à négliger, il ne suffit pas à expliquer la fidélité de la troupe à ce compositeur.

La question du « format » de ses œuvres est aussi centrale. Le modèle des opéra-bouffes d’Offenbach convient en effet bien à la structure de la troupe qui, rappelons-le, est composée d’un chœur et d’un orchestre permanent, à laquelle s’adjoignent des solistes.

L’orchestration de ces œuvres demande à la fois un effectif assez fourni et une grande variété d’instruments (cordes, bois, cuivres et percussions), tandis que les numéros chantés offrent un bon équilibre entre ceux qui sont propres au chœur et ceux propres aux solistes. Sans compter les finals,  avec des soli qui s’intercalent dans les refrains d’ensemble.

Les possibilités de retrouver une telle structure chez d’autres compositeurs sont finalement assez rares. Des opérettes bien connues comme La Chauve-souris de Johann Strauss ou La Belle de Cadix de Francis Lopez mettent davantage en valeur les personnages solistes au détriment du chœur, dont les quelques morceaux se comptent sur les doigts d’une main amputée. C’est d’ailleurs aussi le cas pour certaines pièces d’Offenbach, telles que Robinson Crusoé ou Vert-Vert. 

Par ailleurs, d’autres œuvres dont la structure pourrait convenir à la troupe, comme celles de Lopez, sont encore sujettes au droit d’auteur et les moyens de la troupe, qui demeure composée de bénévoles, ne sauraient couvrir les frais correspondants.

Enfin, il faut aussi croire que le répertoire offenbachien entretient encore et toujours un engouement du public en général, et de notre public en particulier ! La recette de l’opéra-bouffe assure en effet un succès quasi-certain – si elle est bien suivie !  – avec une partition enjouée, une orchestration étoffée, des mélodies entraînantes, gaies, parfois sentimentales, l’alternance des dialogues et des airs, la qualité du livret, son rythme, ses allusions satiriques et cet esprit « bouffe » qui amuse invariablement le public du XIXe siècle comme celui du XXIe.

Notre public ne semble pas se lasser d’Offenbach !

Alors, Offenbach pour toujours ? Voilà une grande question pour la troupe, qui pourrait bien élargir ses horizons et explorer des œuvres dignes d’être davantage mises  à l’honneur, qu’elles soient d’Offenbach, ou d’un autre !

 

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