Pourquoi s’accorde-t-on sur le la ?

On a déjà expliqué dans ces mêmes pages comment un orchestre s’accorde en début de concert, et qui est chargé de mener ce processus étrange et donne le la à tous les participants. Mais cela ne nous dit pas pourquoi c’est cette référence commune que tout le monde va adopter durant les prochaines heures de ce concert. Petite histoire abrégée du la…

Quel la ?

Des la, il en existe tout un tas. Il suffit de regarder le clavier d’un piano pour en compter 8 différents. De tous ces la, c’est en réalité le la3 qui est utilisé comme référence. C’est celui qui se place entre les lignes 2 et 3 sur une portée de clé de sol.

Le la, fût-il un la3, n’est pourtant pas une hauteur prédéterminée et n’existe pas de manière absolue. Le nom des notes utilisées dans la musique occidentale ainsi que leurs hauteurs ne sont en effet que des conventions qui facilitent la compréhension de la musique. De la même manière que les noms de couleurs ne sont que des étiquettes posées sur des réalités physiques, les notes de musique sont en réalité des fréquences déterminées par une valeur physique exprimée en Hertz (ou en battements par seconde).

Et en l’occurrence, le la de référence (le fameux la3) correspond à une vibration de 440 Hz. On le nomme donc parfois le la 440. D’ailleurs, si vous avez connu l’époque lointaine des téléphones fixes (c’est comme un smartphone mais avec un fil constamment relié au mur), ce la 440 est exactement la hauteur de la tonalité d’attente.

Mais alors pourquoi le la et pourquoi 440 ?

Pourquoi le la ?

La réponse est multiple. D’abord c’est par simple convention. On pourrait accorder un orchestre sur un do, un sol dièse ou un mi bémol qu’on arriverait globalement au même résultat. Mais on n’imagine pas qu’à chaque concert, le hautbois se lève en hurlant « Aujourd’hui les enfants, on part sur un fa … [pouet] ». On pourrait très bien décider que le lundi on s’accorde sur un do, le mardi sur un ré, … Mais voilà, on a tranché, c’est un la. Pourquoi ? Parce que pourquoi pas.

Mais en fait, le la répond aussi – et surtout – à un critère de commodité pour les nombreux instruments à cordes. Le la fait en effet partie des cordes à vide qu’ont en commun les violons, les altos, les violoncelles et les contrebasses. Il ne s’agit pas du même la selon la taille de l’engin, mais tous possèdent une « corde de la ». Or il est plus facile et nettement plus fiable d’accorder des instruments à cordes sur une corde à vide, sans se préoccuper de la position de la main gauche et de l’imprécision que cela rajouterait à l’accord.

D’ailleurs il est courant – bien que non systématique – qu’une partie des pupitres de vents, pour qui les contraintes logistiques sont très différentes de celles des cordes, préfèrent s’accorder sur un si bémol plutôt que sur un la. Lorsque c’est le cas, on entend donc le hautbois donner successivement deux notes différentes à chaque partie de l’orchestre.

Pourquoi 440 Hz ?

De même qu’on aurait pu prendre comme référence un mi bémol plutôt qu’un la, on aurait tout aussi bien pu établir que le la correspond à la fréquence de 441 Hz, ou bien 1 Hz ou encore 1 milliard de Hz. Et d’ailleurs, cette fréquence de 440 Hz n’a pas toujours été la norme en vigueur.

Jusqu’au XIXe siècle, il n’y a en fait pas de réelle référence commune de fréquence. D’ailleurs, le concept même de fréquence des sons n’a été découvert qu’au XVIIIe siècle. Autrefois (bien avant l’époque des téléphones fixes, pour vous dire si c’est ancien…), les instrumentistes s’accordaient donc entre eux selon d’autres principes. Par exemple on pouvait s’accorder sur la hauteur de la flûte dont la fabrication en un seul morceau imposait une hauteur non réglable, ou sur l’orgue qui, une fois fabriqué, ne peut plus vraiment ajuster la hauteur de ses tuyaux. Et de fait, la référence du la variait considérablement selon les régions, les orchestres ou les compositeurs.

Des études réalisées sur des instruments d’époque montrent ainsi que le la a pu s’étaler entre 330 et 560 Hz entre le XVIe et le XIXe siècle, avec une tendance assez généralisée à s’élever au cours de l’histoire. Le la de Mozart tournait aux alentours de 422 Hz, celui de Haendel à 423 Hz, celui de Verdi à 432 Hz. Le baroque vénitien (notamment Vivaldi) semblait se fonder sur 440 Hz tandis que les allemands (Bach, Telemann, …) privilégiaient un 415 Hz et les français (Couperin, Marin, Charpentier, …) un 392 Hz. Le diapason de l’Opéra de Paris a longtemps été à 449 Hz (diapason dit « de Berlioz »). Bref, un beau bazar !

La disparité des accords commence à poser de sérieux problèmes lorsque s’accroissent les échanges entre les musiciens qui se mettent à voyager de plus en plus d’un orchestre à l’autre à travers le monde. Par ailleurs, au XIXe siècle, les instruments sont de plus en plus fabriqués en série et exportés partout dans le monde suite aux révolutions industrielles. Si on rajoute à cela la question très spécifique des chanteurs pour qui chanter la même partition avec de gros écarts de diapason ne constitue pas tout à fait le même effort physique, la nécessité d’une uniformisation émerge de plus en plus dans les milieux musicaux.

Chronologiquement, Liszt et Wagner sont parmi les premiers à tenter cette uniformisation. Entre 1830 et 1840, le la 440 Hz entre ainsi progressivement en vigueur en Allemagne. En 1858, sous l’impulsion de Berlioz, le gouvernement français monte une commission de physiciens et musiciens – on y retrouve notamment Auber, Meyerbeer et Rossini – qui planchent environ un an pour établir un la à 435 Hz. En 1884, c’est Verdi qui obtient du gouvernement italien la réunion d’une autre commission musicale qui promulgue par décret que le la sera à 432 Hz. Ce décret, approuvé à l’unanimité par la commission, est toujours exposé au conservatoire Giuseppe Verdi de Milan.

Le problème est donc partiellement résolu. Partiellement seulement puisque les tentatives d’uniformisation se sont faites de manière assez locale, conduisant ainsi à une homogénéité relativement… hétérogène.

C’est seulement en 1939 que le problème du la est enfin considéré à une échelle internationale. Un collège d’experts est rassemblé à Londres et la Fédération internationale des associations nationales de standardisation décide que l’étalon sera désormais fixé à 440 Hz. La décision est entérinée en 1953 lors d’une conférence internationale tenue à Londres, et ce malgré les protestations des Français et des Italiens. Pour enfoncer le clou, la valeur de 440 Hz est inscrite en 1975 dans la norme internationale ISO 16:1975.

La « victoire » du 440 n’a pas manqué de susciter des théories complotistes assez farfelues, dont celle d’un coup d’état nazi, et d’innombrables articles, tous plus fantaisistes les uns que les autres, paraissent alors pour justifier que le 432 Hz serait une fréquence de vibration plus harmonieuse, biologique, astronomique et spirituelle. Le la 440 s’impose pourtant peu à peu à travers le monde, dans les salles de concert et dans la plupart des conservatoires (et dans les téléphones fixes).

Et aujourd’hui ?

Tout le monde joue-t-il à présent sur un 440 Hz réglé à la virgule près ? Et bien non ! Aujourd’hui encore, l’accord de l’orchestre peut varier selon le contexte en dépit de tous ces efforts de normalisation. Certes on est très loin du niveau de disparité d’il y a 400 ans. Mais de nombreux orchestres choisissent toujours volontairement de s’accorder à une hauteur différente selon le répertoire qu’ils jouent, en se fondant sur des volontés philologiques de retrouver les conditions et modes de jeu correspondant à l’époque des œuvres exécutées.

Il se murmure même que l’orchestre d’Oya Kephale ne joue pas non plus à 440 Hz. Mais chut, je ne vous ai rien dit …

 

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Opéra-comique, opéra-bouffe, opérette, quelle différence ?

Il est difficile de donner une définition exacte de ces différents termes parce qu’ils ont, au cours de l’histoire, désigné des styles qui ont pu beaucoup évoluer.

L’opéra-comique

L’opéra-comique est le descendant de la commedia dell’arte et contrairement à ce que son nom laisse supposer, il ne traite pas nécessairement de sujets légers ou comiques. On le distingue principalement de l’opéra par l’alternance de textes chantés et parlés.

L’opéra-buffa

L’opéra-buffa, venu d’Italie, ne contient pas de parties parlées, mais il reprend des motifs satiriques et des airs enjoués tout en ayant une finalité morale. Il se veut moins sérieux que l’opéra, mais s’appuie souvent sur des thèmes compliqués et des personnages tirés de la littérature savante.

L’opérette

L’opérette se veut moins ambitieuse que l’opéra-comique ou que l’opéra bouffe à cause des réglementations théatrales qui encadraient les productions en France. Le livret devait être court et le nombre de chanteurs sur scène était restreint. Mais avec le temps, ces contraintes deviennent obsolètes et les opérettes sont de plus en plus ambitieuses, ce qui, dans la forme, les rapproche de l’opéra-comique. Dans le fond, l’opérette ne se prend pas au sérieux : elle n’a souvent pas d’autre but que de distraire et relève plus souvent du vaudeville que de la véritable satire.

On vous a raconté son histoire juste ici 

L’opéra-bouffe

L’opéra-bouffe est un savant mélange des styles précédents. Le terme est utilisé par Offenbach pour désigner des œuvres qui se veulent plus ambitieuses que les opérettes sur le plan musical. De même, le livret porte souvent sur la satire et la parodie des thèmes sérieux abordés dans l’opéra sans tomber dans des sujets aussi légers que ceux des opérettes.

Que veut dire le mot “lyrique” ?

On apprend aujourd’hui, dans les classes d’art lyrique, à placer sa voix pour le chant… lyrique. Cette technique convient pour l’opéra, la cantate, l’oratorio ou encore pour le lied. Le chanteur y travaille pêle-mêle l’agilité des vocalises, la plénitude du legato, la précision de sa diction, la richesse du timbre, ou encore la justesse de l’expression.

Mais l’association du mot “lyrique” à la voix chantée est assez récente. Construit sur le mot “lyre”, le lyrisme dépeint aussi et avant tout le moyen d’expression du poète.

De la lyre d’Homère à celle d’Orphée, l’instrument est fondateur de la poésie occidentale. Voici une petite histoire du mot “lyrique”.

La lyre antique

Pierre Narcisse Guérin, Homère charme Glaucus par ses chants,
vers 1810, dessin, Valenciennes, Musée des Beaux-Arts.

 

Les premiers emplois du terme “lyrique” qualifient d’abord le poète “faisant des poèmes destinés à être accompagnés avec la lyre »1. Ce lyrisme est surtout d’ordre poétique et a pour objet l’expression de la vie intérieure.

Il faut s’imaginer un aède du monde antique, déclamant à Delphes les grandes épopées, une lyre à la main. L’instrument pouvait comporter 3, 5 ou 7 cordes en tendons et était parfois amplifié par une peau tendue sur une carapace de tortue.

L’Iliade et L’Odyssée d’Homère, épopées fondatrices de la littérature, sont constituées de “chants” qui, bien que versifiés, n’étaient probablement pas entièrement chantés, mais plutôt situés quelque part entre la déclamation et le chant.

Le saviez-vous ? Le Conservatoire National de Musique et de Danse s’appelait jusqu’en 1934 Conservatoire de Musique et de Déclamation.

La naissance de l’opéra

Au début du XVIe siècle, le mot lyrique change de sens pour désigner les poèmes destinés cette fois à être “chantés avec accompagnement de la lyre”1, puis simplement “propres à être chantés”1 à la fin du XVIIe.

Une révolution musicale s’opère dans l’Italie de la Renaissance, avec l’avènement de l’opéra, et notamment l’Orfeo de Monteverdi, créé en 1607 à la cour de Mantoue .

La Camerata fiorentina, cercle composé de poètes et de musiciens florentins, appelle de ses vœux un stile recitativo, pour s’opposer au style de l’époque, estimé trop polyphonique : on reproche au chant choral de nuire à la bonne intelligibilité du texte.

Pourquoi faire chanter par quatre ou cinq voix des textes que l’on ne peut comprendre alors que les anciens faisaient vibrer les passions les plus vives par le seul effet d’une voix soutenue par la lyre ? »2 Vincenzo Galilei, membre de la Camerata fiorentina

La figure d’Orphée

Orphée, muni de sa lyre, est emblématique de l’art lyrique. Chacun en son temps, les compositeurs Monteverdi (1607), Gluck (1762) et Offenbach (1858) se sont emparés du mythe pour en écrire un opéra.

Selon la légende, Orphée se rend aux enfers pour ramener l’infortunée Eurydice dans le royaume des vivants. La porte des enfers est gardée par de multiples spectres, furies et autres larves. S’armant de courage, le jeune musicien les attendrit de son chant et accède aux champs élyséens pour y retrouver Eurydice.

La figure d’Orphée dans l’opéra concilie les deux sens du mot lyrique : il est à la fois poète et musicien.


Orphée et Eurydice, Wq. 41, Act 2 Scene 1: Air, « Laissez-vous toucher par mes pleurs »

Dans cet extrait d’Orphée et Eurydice de Gluck (ré-orchestré par Berlioz en 1859), la lyre est figurée par la harpe et les cordes en pizzicato.

Inaugurant le style satirique qui fera son succès, le malicieux Offenbach, accompagné de ses complices Crémieux et Halévy, parodie le mythe dans Orphée aux enfers.

Eurydice ne dissimule pas sa joie de se séparer enfin de son mari musicien, qui lui casse les oreilles. Cette fois-ci, le malheureux Orphée ne joue pas de la lyre, mais du violon.

 

Extrait du livret :

Orphée, avec passion

Ô roi des cieux et de la terre,

Vois ma douleur et ma misère,

Ma tristesse et mon abandon !

Je viens te demander justice.

Diane, sur le motif de Gluck

On lui ravit son Eurydice.

Orphée, continuant sur son violon.

Et le ravisseur, c’est Pluton !

 

De la même façon que chez Gluck, Orphée cherche à récupérer son Eurydice par son chant et son violon. Seulement, il constitue cette fois-ci le dindon de la farce, et on le tourne en dérision.

Il est amusant de constater la disparition de la lyre dans l’art lyrique d’aujourd’hui, ou plutôt sa métamorphose en piano, dans le cadre du lied, ou en orchestre symphonique. Si on peut reconnaître un écho des déclamations homériques dans les mélodrames3, l’opéra a pris quant à lui le relais du chant modulé d’Orphée.

 
1 “Lyricus”, Französisches Etymologisches WörterbuchRetour vers la suite du texte
2 V. Galilei: Dialogo della musica antica et della moderna (Florence, 1581/R) – Retour vers la suite du texte
3  Un mélodrame est une œuvre dramatique où le texte déclamé est accompagné de musique instrumentale. On trouve aussi des passages en mélodrame au sein des opéra-comiques ou des opéra-bouffes. – Retour vers la suite du texte

Sources

 

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Oya Kephale : pourquoi ce nom ?

« Oya Kephale » (prononcer oya kéfalé), est extrait d’un couplet d’Oreste dans La Belle Hélène (1ère opérette réalisée par la troupe en 1995). Ces mots de grec signifient « Quelle tête ! », sous-entendu “Quelle tête il fait !”

 

En 1864, date de la création de La Belle Hélène, le public du théâtre des Variétés était semble-t-il suffisamment lettré pour comprendre ce passage. Kephale comptait probablement parmi les premiers mots de grec que l’on apprenait. 

 

Voici le contexte : 

Oreste, fils turbulent d’Agamemnon, entre dans le temple de Jupiter accompagné de “dames de Corinthe” – comprendre : des femmes de petite vertu. La Reine Hélène, et surtout le grand augure de Jupiter, Calchas, sont quelque peu gênés de leur arrivée dans le lieu sacré.

 

Extrait du livret :

HÉLÈNE, se retournant vers la droite avant d’entrer dans le temple.

Tiens ! il est avec Parthénis… Elle s’habille bien, cette Parthénis ! Il n’y a que ces femmes-là pour s’habiller avec cette audace !

Entrée d’Oreste, entrée vive et bruyante. Une petite troupe de joueuses de flûte et de danseuses accompagne Oreste, Parthénis et Léæna. Toute la bande se précipite sur Calchas et l’enveloppe.

CALCHAS, regardant à droite.

Et dire que c’est le fils d’Agamemnon, le fils de mon roi !…

TOUS.

Ohé ! Calchas ! ohé !

ORESTE, à Calchas (chanté).

    Au cabaret du Labyrinthe

    Cette nuit, j’ai soupé, mon vieux,

    Avec ces dames de Corinthe,

    Tout ce que la Grèce a de mieux.

    (Présentant à Calchas Parthénis et Léæna)

    C’est Parthénis et Léæna,

    Qui m’ont dit te vouloir connaître.

CALCHAS, passant entre les deux femmes.

    Pouvais-je m’attendre à cela ?

    Mesdames, j’ai bien l’honneur d’être…

ORESTE.

    C’est Parthénis et Léæna !

TOUS.

    C’est Parthénis et Léæna !

Danses autour de Calchas sur un accompagnement de flûtes et de cymbales.

    Tsing la la, tsing la la !

                     Oya Kephale, Kephale, o la la !

    Tsing la la, tsing la la !

 

La joyeuse troupe se moque des airs que prend Calchas, qui peine à garder sa dignité au milieu de cette excitation.

 

 

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