Faut-il être fou pour composer ?
Question qui a pu faire bruisser les conversations sur la créativité : le génie est-il lié à la folie ? L’acte de création requiert-il une désertion des schémas de pensée de l’humain, un arpentage des chemins de la démence ? Eh bien non. Ah pardon, j’ai spoilé ? Alors reprenons, si vous le voulez bien…
Être ou ne pas être fou
Il convient d’abord de se mettre d’accord sur la définition du mot “fou”. Qu’est-ce que la folie ? Est-ce qu’il s’agit d’une définition clinique, qui recouvre plusieurs pathologies précises, nécessitant un diagnostic ? Ou appelle-t-on folie tout comportement qui sort des normes préétablies par une société en constante mutation ?
Si l’on se réfère au premier cas, alors je ne vois pas en quoi le poids d’une maladie lourde et dangereuse serait un terreau fertile à la créativité. Dans le deuxième en revanche, on a plus de chance de trouver l’espace nécessaire à l’exploration des possibilités. Il est plus facile, quand on a beaucoup d’imagination, de ne pas se conformer à des règles arbitraires qui n’ont pas forcément de sens…
Mais alors, si on se penche sur l’histoire, trouve-t-on plein de créateurs et de compositeurs fous ? Ou est-ce vraiment un mythe, comme la solitude des génies ? Bon, il y avait bien Schumann, qui avait des hallucinations auditives ; Schönberg qui était terrorisé par le chiffre 13 ; et Scriabine qui a essayé de marcher sur l’eau. Certains compositeurs étaient donc bien atteints de pathologies psychiatriques. D’un autre côté, nous avons les exentriques tels que Satie, qui a acheté d’un coup sept complets jaune moutarde qu’il a ensuite porté pendant des années. Mais est-ce vraiment la norme chez les compositeurs ?
Pas vraiment. La musique est un art difficile, sa partition est un langage, sa composition répond à des règles strictes, même si les plier et les réinventer est justement l’art du compositeur. Difficile donc de composer si l’on est complètement fou quand les contraintes sont aussi fortes. La vraie folie entrave, elle ne libère pas. Parfois, ce qui distingue le génie de la folie, le talent de son absence, c’est le succès, qui à l’occasion se corrèle au temps.
Mais alors, pourquoi cette légende, qui perdure depuis l’antiquité, de la folie chez les compositeurs et, plus généralement, chez les artistes ?
Plus on est de fous plus on crée
Une autre définition mérite qu’on se penche un instant dessus. Qu’est-ce que le génie artistique ? Demandez à dix personnes et je pense que vous obtiendrez dix interprétations différentes. Il n’est pas évident de donner à l’art des contours nets, alors comment définir les termes de son succès ?
Et si ce qu’on appelle créativité était simplement une capacité à penser en dehors des clous, à sortir des sentiers battus, à utiliser la norme pour fabriquer la nouveauté ? À créer l’inattendu, quelque chose de différent de ce que la majorité aurait fait dans la même situation ? Ce qu’on appelle folie serait alors cette même capacité confrontée à la vie de tous les jours. Dans ce cas, la folie influe-t-elle sur la créativité, ou la créativité sur la folie ? Ne font-elles qu’un ? Ou au contraire, n’y a-t-il aucun lien entre elles ?
Si l’on doit admettre qu’un certain nombre d’artistes sont des excentriques, chacun à leur manière particulière, alors on peut y voir une connexion. Mais l’excentricité n’est pas la folie. Au contraire, il semblerait que l’art permette à celles et ceux qui le pratiquent de rester plus sains d’esprit. Ils seraient moins touchés par les névroses et les maladies mentales. La création part d’une idée, quelle qu’elle soit, et les idées ont besoin de temps pour naître, pour mûrir, pour advenir, et ensuite d’un cadre pour s’exprimer. Cette période d’incubation et cette capacité de restitution nécessaires sont plus difficiles à pratiquer dans la maladie. En réalité, la création équilibre la différence, la transforme en originalité.
Un fou vaut mieux que deux tu l’auras
Le lien entre l’art et la folie n’est donc pas celui qu’on croit. On confond génie et créativité, folie et écart des normes.
En revanche, des études ont prouvé que la pratique de l’art pouvait aider les patients atteints de maladies mentales. Comme pour ces compositeurs un peu à la marge, la pratique de l’art permet à certaines personnes atteintes de troubles de trouver une sorte d’exutoire, un moyen de mettre en forme leurs maladies et les sentiments qui les habitent.
D’autres chercheurs auraient cependant trouvé des similitudes de fonctionnement entre le cerveau des personnes créatives et celui des personnes psychotiques… Comme quoi, nul n’est parfait.
Alors rassurez-vous, si vous voulez peindre ou composer un opéra, pas besoin de prendre rendez-vous chez votre psychiatre, la folie n’est pas un prérequis. Un peu d’indépendance d’esprit et d’imagination, et peut-être un soupçon d’extravagance, en revanche…
SOURCES :
- Podcast Avec philosophie, “Faut-il être fou pour être créatif ?”, Radio France, 15/09/2022
- Aliette de Laleu, “Pourquoi le créateur fou est un mythe dans le monde de la musique”, Radio France, 23/05/2016
- Jonathan Parienté, “La créativité liée à la folie”, Le Monde, 28/05/2010
- Emma Derome, “Faut-il être atteint d’une maladie mentale pour être un artiste ?”, ça m’intéresse, 22/05/2024
- Aliette de Laleu, “Top 10 des personnages fous de la musique classique”, Radio France, 03/06/2016
- Gabrielle Predko, “Il existe un lien entre folie et créativité, mais pas celui qu’on croit”, Welcom to the jungle, 20/01/2022
- Podcast Le Journal de la philo, “Faut-il être fou pour créer ?”, Radio France, 03/05/2018
Rédaction de l'article
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