La musique classique, d’accord, mais… et les femmes, là-dedans ?

Quand on parle de musique classique, particulièrement de compositeurs et de chefs d’orchestres, on entend surtout des noms d’hommes. En fait, on n’entend pratiquement que ça, comme si la musique classique était un club pour gentlemen anglais du XIXe siècle. Mais pourquoi ? La femme est-elle allergique à la musique, comme le vampire au soleil ? Que nenni. Le problème, comme souvent, se situe chez… les hommes.

Une brève histoire des femmes dans la musique

L’invisibilisation des femmes au cours de l’histoire ne date pas d’hier, et elle n’est pas cantonnée au domaine de la musique. L’histoire est principalement écrite par des hommes, pour des hommes, dans un patriarcat confortable. Pour celles et ceux qui pensent que j’exagère, je vous invite à aller vous renseigner sur certains sujets oubliés, comme les chevaleresses, par exemple.

Dans la musique, comme partout, les femmes ne font pas ce qu’elles veulent. Pendant de nombreux siècles, elles n’ont même pas le droit de chanter à la messe, l’Église le leur interdisant. La musique est là pour exalter le sentiment religieux, alors des femelles ? Avec des voix tentatrices et des pensées impures ? Surtout pas ! Après le serpent, on a compris, on ne leur confie plus rien d’importance, à part la tenue de la maison et l’éducation des jeunes enfants. Après, il y a bien les trobairitz en Occitanie, ou les troubadouresses, mais même Wikipédia n’a pas grand chose à dire sur la place des femmes dans l’histoire de la musique, parce que, n’est-ce pas, qui est-ce que ça pourrait intéresser alors qu’on a tant de grands compositeurs ?

Non, globalement, les femmes sont là pour servir de muse, pas pour créer, merci bien. Et ça vaut pour tous les arts, pas uniquement la musique. Si madame voulait bien se tenir tranquille, là, être belle et se taire ? Merci, ça serait gentil, il faut que monsieur se concentre. Parce que tout le monde sait que le génie créatif se trouve dans la prostate, et pour communier avec sa prostate, rien de mieux que le silence et la vision d’une jolie femme.

À la Renaissance, assez ironiquement, alors que le monde des arts s’étend et que l’humanisme apparaît, les droits des femmes reculent. Elles ne sont plus rien d’autre que la propriété de leur père, puis de leur mari. Il devient encore plus difficile pour elles de sortir du cadre qu’on leur impose. Aux périodes baroque et classique, les femmes renouent avec la musique, mais uniquement dans les limites qui leur sont données. Elles ne peuvent jouer que de certains instruments, dans certains lieux, dans certaines circonstances, et certainement pas composer. En tout cas, pas pour le public. L’invention est un travail d’homme, une distraction malvenue chez les femmes.

Pourtant, malgré tout, certaines femmes ont réussi à faire ce qu’elles aimaient, ont bravé les interdits et osé jouer et composer, en dépit des restrictions que leur imposait la société.

Les compositrices, oubliées de l’Histoire

Parce que oui, des compositrices, il y en a eu, il y en a, et il y en aura toujours (enfin, on espère, hein). Et si la plupart ont été oubliées, reléguées au néant car jugées sans valeur, certaines sont parvenues jusqu’à nous. Des noms qui n’ont pas la reconnaissance d’un Mozart ou d’un Chopin, mais qui n’en comptent pas moins.

Si on remonte à l’Antiquité, Sappho représente les poétesses et musiciennes de l’époque. Sa musique, aujourd’hui perdue, était faite de poèmes et d’instruments à cordes, qui rythmaient des odes à Aphrodite, déesse de l’amour. Mais comme il paraît qu’elle préférait les filles, on l’a vite rangée sous le tapis.

Hildegarde Von Bingen (1098-1179), abbesse, voyante, naturaliste, guérisseuse, musicienne et poétesse, a beaucoup apporté à la musique religieuse et à la médecine. Mais bon, le plus important, c’est qu’elle ait découvert les propriétés du houblon, non ? La bière, y’a que ça de vrai.

Maddalena Casulana (1544-1590) est la première compositrice à être publiée. Elle chante, joue du luth et compose des madrigaux. Pour prouver qu’en plus du talent, elle a la classe, elle cacedédi (dédicace en verlan) son premier livre de madrigaux à Isabelle de Médicis en ces termes :  “[Je] veux montrer au monde, autant que je le peux dans cette profession de musicienne, l’erreur que commettent les hommes en pensant qu’eux seuls possèdent les dons d’intelligence et que de tels dons ne sont jamais donnés aux femmes.”

On peut aussi parler d’Hélène de Montgeroult (1764-1836). Excellente interprète de piano-forte, exceptionnelle improvisatrice, grande pédagogue, elle est la première femme à enseigner au Conservatoire de Paris. Elle compose, mais on préfère se souvenir d’elle comme d’une enseignante, rôle qui convient mieux aux femmes, n’est-ce pas ?

Beaucoup d’autres femmes ont encore marqué l’histoire de la musique, comme Béatrice de Dié, Blanche de Castille, Elisabeth Jacquet de la Guerre, Louise Farrenc, Clara Schumann, Alma Maria Mahler, Pauline Viardot, Mel Bonis, Lili et Nadia Boulanger, Camille Pépin ou encore Fanny Mendelssohn (mais nous y reviendrons…).

Mais du coup, aujourd’hui, ça va mieux ?

Non non, rien n’a changé, tout tout a continué !

Bon, d’accord, ça va quand même un peu mieux, ok. Mais ça ne veut pas dire que tout va bien. Parce que des millénaires de sexisme ne s’effacent pas en quelques décennies. Qu’elles soient compositrices, cheffes d’orchestres, chanteuses ou instrumentistes, les femmes sont toujours bien moins représentées que les hommes dans la musique, classique ou non. Et si les nombres ne sont plus aussi inégalitaires qu’avant, les programmations, elles, restent en très nette faveur des hommes.

Si ça vous intéresse d’approfondir le sujet, voici une étude de l’état des lieux de la présence des femmes dans la filière musicale du Centre National de la Musique.

Les compositrices peinent toujours à se faire un nom, les cheffes d’orchestres représentent un très faible pourcentage dans le métier, les chanteuses sont moins bien payées que les chanteurs et les instrumentistes femmes sont encore souvent cantonnées à certains types d’instruments considérés comme plus féminins… et ce ne sont que quelques exemples. Parce que les mentalités évoluent lentement et que les inégalités hommes-femmes sont encore bien présentes, n’en déplaise à celles et ceux qui ne comprennent pas pourquoi les femmes se plaignent encore alors qu’elles ont plein de droits !

La musique classique, en particulier, est le territoire des hommes depuis si longtemps qu’il est difficile pour les femmes de s’y faire un chemin.

Bien sûr, ce n’est pas vraiment de la faute de la musique. Tant que la société restera perchée sur les restes du patriarcat en s’y accrochant désespérément, il sera difficile d’atteindre une vraie égalité.

Pour l’instant, il est plus important de s’émerveiller qu’une femme ait réussi à faire quelque chose que de mettre en avant et valoriser son nom. Parce que le plus impressionnant, c’est qu’une femme y soit arrivé. Savoir qui elle est, c’est très secondaire. C’est marrant, ce n’est jamais le cas avec les hommes. Et si vous ne me croyez pas, une femme a pourtant sa page Wiki, elle aussi.


Sources 

Illustration de l’article : Laurent de La Hyre, La muse Euterpe, allégorie de la Musique, New York, Metropolitan Museum of Art, 1648


Rédaction de l'article

 

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