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La musique de Madame Favart

“Le titre de mon opéra-comique suffit à en déterminer les véritables proportions. Justine Favart, en effet, c’était l’incarnation de la chanson française. Un tel sujet ne pouvait qu’inspirer une comédie à ariettes, agrandie, développée.1

Avec Madame Favart (1878), Jacques Offenbach désire restaurer le genre de l’opéra-comique, qu’il a lui-même beaucoup pratiqué à son arrivée à Paris, en tant que violoncelliste dans la fosse de l’Opéra-Comique. Pour joindre le fond à la forme, il s’empare de l’histoire des Favart, pionniers du genre dans le Paris du XVIIIe siècle, et propose avec ses librettistes une comédie mêlée d’ariettes2 et de vaudevilles3.

La restauration du genre de l’opéra-comique

Si les personnages de Madame Favart sont moins bouffons que ceux d’autres de ses pièces, Offenbach écrit une musique fidèle à son esprit vif et délicat. La multiplication des couplets et des chansons rappelle les origines de l’opéra-comique, qui puise ses racines dans le théâtre de foire parisien. Au XVIIIe siècle, la véritable Justine Favart se produisait aux Foires Saint-Germain et Saint-Laurent.

Tout comme le goût italien du XVIIIe a agrémenté l’opéra-comique d’ariettes raffinées, de nombreux numéros de la partition sont composés de plusieurs volets contrastants : couplets, chœurs, ensembles – qui font souvent avancer l’action. Ceux-ci sont articulés par de jolis récitatifs4. Cette technique de numéro complexe, autrefois réservée aux finals d’acte, est employée dans près de la moitié des passages musicaux.

Par rapport à ses précédentes compositions, les parties musicales sont significativement plus courtes, avec des changements de tempo très fréquents. Le compositeur, amoureux du théâtre, est toujours prêt à bondir férocement sur la moindre mollesse d’écriture.

Une inventivité musicale au service de la comédie

Selon le rythme qu’il veut donner à l’action, le compositeur emploie tour à tour couplets, ensembles, mélodrames, récitatifs, chœurs et chansons. La première intervention de Madame Favart, composée de plusieurs volets, en constitue un bel exemple. Après un tonique chœur introductif, l’orchestre imite le son de la vielle à roue. Le bourdon est confié aux violoncelles, aux cors et au basson, alors que la main gauche de la vielle est jouée par le hautbois. Le malicieux Offenbach fait tenir à ce dernier une note étrangère à l’harmonie, ce qui est commun dans ce folklore. La texture instrumentale ainsi créée sert de fond sonore pour le mélodrame annonçant l’arrivée de Madame Favart. La jeune comédienne entre en scène déguisée en vielleuse, et chante des chansons à une assemblée de voyageurs, comme un théâtre dans le théâtre. On peut entendre une courte parodie archaïsante d’opéra seria, puis deux chansons populaires : “Fanchon” (“elle aime à rire, elle aime à boire”) et la gigue “dans les gardes françaises”5. Pour finir, elle reprend sa mélodie de vielleuse, alors que les chœurs continuent de chanter la gigue. Cette juxtaposition offre un savant mélange de rythmes binaires et ternaires, tout en caractérisant le personnage : voilà une actrice capable d’entraîner les voyageurs dans ses chansons.

“Après la guerre, le militaire aime à s’offrir quelque plaisir”

Que serait une pièce d’Offenbach sans ses entraînants rythmes militaires ? Comme Molière avant lui avait tourné les médecins en dérision, Offenbach s’est employé à ridiculiser l’inattaquable armée. Après la défaite de Sedan, ces plaisanteries ne sont toutefois plus au goût du jour. À titre d’exemple, les représentations de son opéra bouffe La Grande-duchesse de Gérolstein (1867) reprennent timidement après 8 ans d’interdiction. Dans Madame Favart, Offenbach joue finement en conservant les rythmes électrisants qui ont fait son succès, avec des paroles moins moqueuses pour la “grande muette”.

Du point de vue de l’orchestration, on peut souligner le véritable culte que le compositeur voue au fifre6. Les notes pétillantes du piccolo traversent toute la partition, parfois à la mélodie mais aussi en égrenant de profuses guirlandes de notes. La musique du camp est aussi caractérisée par les incontournables tambours et trompettes.

“Des serments pleins de tendresse…”

Offenbach, qui se sait très “accessible du côté du cœur7, écrit des pages pleines de tendresse, empreintes de grâce et d’insouciance. Il privilégie pour cela le rythme de la valse, qui évoque les battements du cœur. Aux couplets de Suzanne (n°2) répondent les Romances d’Hector (n°9) et de Favart (n°17), trois valses.

Extrait des couplets de Suzanne (n°2). Les battements de cœur sont confiés aux violons, altos, hautbois et clarinettes.

 

Les folklores de Madame Favart

Jean-Honoré Fragonard, La joueuse de vielle, huile sur toile. Non datée, probablement peinte dans les années 1770

Offenbach profite d’avoir un personnage adepte du déguisement pour sacrifier à son goût du folklore. L’évocation de Fanchon la vielleuse, qui prête ses traits à Justine Favart dans le premier acte, permet de faire entendre de la musique pour vielle à roue. Le compositeur tisse aussi sa partition de danses et de chants traditionnels : les polkas sont nombreuses, ainsi que les gigues, qui apparaissent ici souvent teintées du rythme de sicilienne. Le goût du déguisement est à son comble avec la tyrolienne du 3e acte. Plus vraie que nature, elle est construite sur un rythme de ländler8 et comporte ces grands intervalles resserrés si caractéristiques du Tyrol.

Extrait de la tyrolienne (n°18). Madame Favart et Hector chantent tous les deux un saut d’octave en triples croches.

Le chœur mis à l’honneur

Présent dans plus de la moitié des numéros, le chœur est le plus souvent utilisé allegro. Ses parties, très rythmées, donnent du nerf à la partition et participent à l’effervescence chère à Offenbach, surtout dans les finals survoltés.

Le chœur donne à plusieurs reprises un éclat initial aux ariettes, ou bien se fait commentateur de l’action, à l’instar des chœurs antiques. Incarnant successivement voyageurs, invités et servantes, officiers et soldats, marmitons, tapissiers, petits fifres et trompettes, garçons d’auberge et cantinières, mais aussi des personnages de La Chercheuse d’esprit9, les choristes changent souvent de rôles, et de costumes !

Notes

1 Jacques Offenbach, “Lettre au directeur du Grand-Théâtre de Marseille”, parue dans Le Figaro du 29 janvier 1879.

2 Interludes musicaux de style vif et léger qui, aux XVIIe et XVIIIe siècles, alternaient avec le texte d’une comédie.

3 Chansons comprenant couplets et refrains rimés sur des airs populaires, qui servaient de prétexte à la satire d’individus ou d’événements du jour.

4 Le récitatif est une technique de composition vocale qui suit les inflexions naturelles de la phrase parlée. Il est employé pour favoriser la relation d’un événement, faire avancer l’action et assurer la liaison entre les différents volets d’un numéro.

5 Ces deux chansons ont été composées au XVIIIe siècle par des abbés et ont vite été intégrées au répertoire militaire.

6 Il lui a même consacré une opérette en 1868, Le fifre enchanté.

7 Offenbach à Ludovic Halévy, lettre du 24 juillet 1869.

8 Le ländler est une danse folklorique à trois temps, d’un tempo généralement rapide lorsqu’elle est pratiquée en Suisse et au Tyrol. Avant l’essor de la valse au XIXe, c’était la danse la plus commune en Autriche, au sud de l’Allemagne et en Suisse alémanique.

9 La Chercheuse d’esprit est un opéra-comique en un acte de Charles-Simon Favart.

Rédaction de l'article